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mercredi, 23 mai 2007

cinquante-neuf (la lettre à pleurniche)

Putain de triste, bêtement triste comme je l’ai déjà dit ce soir à quelqu’un. C’est un sentiment que j’appréciais beaucoup il n’y a pas si longtemps ça la tristesse, une sorte d’absolu, de plénitude bizarre. C’est vrai qu’on se sent bien exister profondément dans ces moments-là non, et qu’est-ce que je demande moi à part bien me sentir exister ? Rien, enfin. Faut faire l’effort aussi mine de rien pour être triste, ça demande de l’investissement à vrai dire autant que tout le reste, faut s’y jeter complètement, totalement. Faut voir la pluie partout. Faut bien couler... J’en suis là. C’était prévisible évidemment, mais cette fois ça s’est pas passé comme d’habitude.

D’habitude, je me monte bien la tête involontairement, je me gonfle comme une baudruche à l’hélium quand j’ai au coin de l’œil comme l’idée d’un événement un peu sorti de l’ordinaire ; je le travaille bien dans ma tête avant de le vivre en vrai, je projette, j’envisage, j’affabule presque. Qu’est-ce qu’on peut être con quand même, on nous a tellement bassiné avec faut dire toutes ces histoires de roman et de cinéma et encore aujourd’hui... On est conditionné... Sur le moment on est déçu et même triste que rien se soit passé comme dans un film ou juste simplement comme dans la vie des autres, et puis on rentre chez soi assez dépité mais sans trop de surprise non plus. On se tricote alors sa petite misère toute confortable, bien à soi le temps d’une nuit ou deux, pour essayer de se croire moins misérable que les misérables, ou plus misérable au contraire mais tant mieux, et tout en sachant que sa condition bien médiocre c’est pas si facilement qu’elle va se nous décoller de la gueule. Mais dès qu’on rejoint la queue entre les jambes sa petite catégorie, son petit milieu minable, son crétin troupeau de gens comme soi, ça va mieux pas vrai ? On redevient comme avant, on redevient normal. On accepte, et on respire enfin. Jamais trop s’écarter de sa voie ! Marcher droit, toujours ! Gare aux coups de bâton sinon. Ah cette fois c’était différent je l’ai dit, ça s’est pas passé pareil. Cette fois au contraire j’ai bien consciemment fantasmé la soirée, justement en me rappelant les autres, en me disant que la future déception valait bien un espoir auparavant, qu’avant de chuter c’est essentiel de prendre du plaisir à l’ascension. Que quitte à être déçu, autant que ce soit parce qu’on a été bien enthousiaste... Ca pour enthousiaste je l’ai été, sauf que j’ai pas du tout été déçu. Ah ! quelle merveille j’en revenais pas. Quel plaisir. Et quelle évidence.

Est-ce que ça se décrit ce genre de choses ? Non, sans doute, mais tout le monde les connaît aussi sans doute, tout le monde sait de quoi je parle. Ca sert à rien de s’y étendre.

Ca s’est donc pas du tout passé comme prévu, et de mon extase j’ai pas dégringolé du bon côté. Si je m’y attendais à celle-là ! Réussir à surprendre un vieux blasé comme moi, faut y faire. C’est elle à l’évidence qui a endossé pour une fois le rôle de la baudruche qui se gonfle et se crève, elle qui avait dû bien se monter la tête aussi, faire de jolis plans sur la comète avant de se prendre sa petite déception dans les dents (qu’elle a charmantes), enfin connaître ce sentiment que j’évoquais plus haut simplement. Alors pour elle, peut-être se reverra-t-on au mois de septembre : on n’est pas plus sérieux. C’en est presque drôle, pour qui a le cœur à rire ! J’aurais préféré qu’elle dise jamais, à tout prendre ; le mois de septembre ou jamais, c’est pareil. Pourquoi se complique-t-on tellement la vie dans ce genre de relations ? Et dans les autres aussi d’ailleurs ? Dans toutes les relations... Pourquoi se sent-on obligé, par quoi se sent-on obligé de broder autant avant pendant et après, de respecter des codes sociaux de bienséance, de prévenance, de réfréner ses élans vers le pour ou le contre ? Pourquoi ne se dit-on pas les choses ? Ah ! ça serait quand même plus simple. On se reverra jamais, c’est tout. Mais sache bien juste que je le regrette... Voilà où j’en suis. Voilà où j’en suis.

Demain, nouvelle journée paraît-il. Va falloir bien réfléchir à comment je vais l’envisager celle-là, ce que je vais en penser et ce qu’il va en ressortir la nuit venue. Malheureusement j’ai du travail et même de l’activité jusqu’au soir en dehors de chez moi, horreur ; je vais pas avoir un moment pour m’apitoyer sur mon sort, pour étaler mes pitoyables jérémiades ailleurs que sur ces pages. Et très vite et trop vite ça sera jeudi, et puis vendredi et le week-end et tous les autres jours encore, on va se retrouver enfin au mois de juillet en pleine canicule (je la vois venir, celle-là) et en regardant sa solitude désoeuvrée on se rappellera sa petite détresse du moment, de ce moment et on se dira que décidément rien vraiment n’a changé. C’est bien la raison pour laquelle on se monte la tête, en pour ou en contre, c’est quand on croit que les choses changent ou vont changer, mais rien ne change jamais ! Ca évolue, au mieux, mais c’est encore différent. On lit des romans, on va au cinéma, on se dit que sa vie pourrait parfaitement tenir du même scénario débile hein finalement pourquoi pas ? que y a pas de raison qu’on trouve pas aussi un beau soir au coin d’une rue le bonheur sous une forme ou l’autre, comme par surprise sous sa forme à soi, sous celle qu’on voulait tant. Le conditionnement je disais. Et en fait on a à peine le temps de se rendre compte de rien qu’on est déjà rentré chez soi, c’est vrai qu’on a rien vu qui ressemblait au bonheur au coin de la rue, mais on n’y pense déjà plus, on voit déjà au contraire ce que sera le lendemain, ce que nous réserve l’avenir. C’est peut-être mieux comme ça finalement ? C’est peut-être moi qui marche de traviole en ressassant tout ça.

Alors avant que toute cette histoire ne s’évapore et que mon bestial et social instinct de survie ne reprenne le dessus, comme toujours, comme chaque fois, et ne m’efface de l’esprit cet épisode un peu différent, un peu changeant — parce que douloureux, mais tant pis, tant mieux — ; avant que ma vie ne reprenne son petit cours tranquille droit dans les bottes de ce petit troupeau de gens comme moi je voulais bien te dire quand même que c’était formidable, que j’aimerais ne pas oublier, que je me souviendrai, que tu as profondément marqué de ta présence cette calme soirée-là. Quand on aime déjà un peu il faut pas s’empêcher de le dire sous des motifs trop fallacieux, ça s’en va si vite ces choses-là, tu t’en vas si vite toi aussi ; voilà où j’en suis moi, voilà où j’en suis je t’aime un peu ce soir et pas seulement par dépit, et je te le dis vite avant que bien contre mon gré ça ne s’en aille encore voir ailleurs.

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lundi, 07 mai 2007

cinquante-huit (vie et mort d'une enveloppe)

Ah ! voter.

Alors tout de suite, on se calme — on respire, on reprend ses esprits. Pas d’énervement surtout, pas de précipitation. Je sais bien que ces élections on nous rebat les oreilles avec depuis cinq ans, depuis les dernières présidentielles en fait, et de manière exponentielle encore. On nous aura bien battu les œufs en neige en vérité, bien fait monter la pression petit à petit ; c’était comme la folie des vacances ou la débauche des Noëls, ça a poussé et poussé de plus en plus, à la télé, dans les journaux ou le métro, dans les oreilles la bouche et dans les yeux des gens. Pour l’intéresser à la politique le populo c’est comme pour lui vendre son prochain home cinéma, y a qu’à lui faire passer des pubs sous le nez à longueur de journée en lui disant qu’il n’est même pas digne de vivre une minute de plus s’il n’adhère pas à ce qu’il voit. « Mange ça ! » qu’on lui cogne dans la tête. « Fume pas sale traître, égoïste, pollueur ! Roule dans cette voiture en signe de réussite ! Mais respecte l’environnement bordel ! Et sois beau ! Sois jeune ! Crains les vieux, ces croulants, ces bons à rien, dégage-les, pousse-les dans la tombe à la première occasion, renouvelle ton monde le plus vite possible, toujours encore et sans cesse, change de Président par exemple ! » Il prend une grande respiration alors et se sent bien exister le bon peuple quand on lui insuffle un si joli discours, quand on lui organise pareille mascarade, pareil théâtre de guignols, auquel il croit participer en plus ! sur lequel il pense peser ce naïf, cet idiot, ce méchant singe, sans comprendre que c’est lui la marionnette.

Vraiment pendant ces élections j’ai eu l’impression d’en voir qui s’étaient tellement imbibés de grandes espérances qu’ils semblaient prêts à se faire sauter sur place pour leur champion ou leur championne. Ca ergotait gaillardement, ça brandissait des théories, des analyses comme des pancartes dans une manif, ça se disputait aussi, pas mal, c’était pas d’accord avec le voisin et avec soi-même une fois sur deux ; mais rien de plus normal au fond, on appelle ça un débat. Enfin même ceux-là faut surtout pas croire qu’ils aient plus de convictions que les autres, qu’ils soient plus investis dans l’avenir de leur pays ou qu’ils espèrent seulement un monde meilleur, non... Ceux-là comme tous les autres ils ont manqué de défaillir à la dernière seconde du compte à rebours, explosé de joie ou de désespoir à l’apparition de leur nouvelle face de mairie — et c’était sincère —, dont ils vont parler abondamment c’est vrai pendant des jours et des jours, puis un peu moins, puis plus du tout ; et après pour eux comme pour tous les autres il sera temps de planifier le mois d’août à Pornichet ou en Lozère et l’hystérie recommencera. A force de se tendre des miroirs dans les médias, dans les transports en commun ou au bureau, ou entre amis, à force de se regarder vivre comme des hypnotiques on en était venu à croire que l’image qu’on recevait c’était celle de la vraie vie, qu’on n’avait plus qu’à reproduire plus ou moins ce qu’on trouvait dans le cadre pour se faire sa place en société. Sauf que c’est jamais son reflet qu’on voit s’agiter là devant soi, mais celui des autres qu’on nous propose, qu’on nous impose en somme. C’est l’heure d’être citoyen on nous a dit. Soyons citoyens.

Mais qu’on n’aille surtout pas croire que je fais la morale à quiconque, hein. Je suis comme tout le monde, je rêve d’amour, de pognon et de vacances, et de jeunesse, et du dernier sondage à paraître. Moi aussi j’ai été contaminé par toute cette agitation malsaine. Moi aussi j’avais l’impression que le résultat des élections allait changer ma vie à jamais, que rien ne serait plus comme avant, que choisir la prochaine idole était de la première importance pour moi et mon pays — essentiel au point que le reste du monde pouvait crever allègrement sous la haine et la misère ; on s’en fout. Comme pour la finale de la Coupe du monde j’aurais préféré mourir foudroyé plutôt que de rater la grande joute oratoire des deux derniers finalistes ou l’annonce des résultats. Au premier round j’étais même plutôt sûr de mon idée en glissant le bulletin dans l’urne, c’est assez rare pour être signalé, j’étais tout gonflé même de conviction et du sentiment du devoir accompli... j’avais traversé la capitale vers le bureau de vote de mon ancien quartier en pensant très fort à la France et à l’avenir, et à l’Histoire en somme... Les gens autour de moi avaient le pas décidé, assuré, presque fier et très différent d’un dimanche classique ; ça marchait droit sous le soleil, et dans les yeux ça portait une lueur particulière comme une fleur au fusil. J’ai pensé avec le recul que c’est avec ce genre de discours, avec ce genre d’ambiance particulièrement extasiée aussi et toute montée en soufflé, qu’on arrive à convaincre finalement des types à se tirer dessus de part et d’autre d’une frontière. C’est pas tambouille différente.

Cette soupe-là d’ailleurs ceux qui la servent ils sont pas les derniers à en bouffer. Au final ils en sont tellement gavés par exemple nos blancs candidats comme des oies que les yeux leur sortent des orbites, que c’est plus des discours qu’ils déclament mais quelque chose entre le glapissement et l’éructation, entre le plaisir de satiété et la souffrance de l’endurance. Ca se gorge par-delà la glotte et ça finit par vomir mécaniquement, industriellement, une ratatouille infâme dans laquelle on trouve de tout et dont on va devoir se choisir les morceaux les moins baveux. Bon appétit ! Merde c’est pas humain cette frénésie. Je peux pas cautionner ça... Je peux pas voter pour ça ! J’ai bien failli ne pas voter d’ailleurs. Au vu de la participation du premier tour, j’ai manigancé machiavélique, s’abstenir au second passera pour contestataire ; et la contestation sous la couette, en voilà un concept qui me plaît ! La révolte sur l’oreiller ! Sauf que dans un sursaut de lucidité je me suis rappelé John et Yoko, les hippies et tout ça, et poussé par la honte j’ai filé sans plus attendre dans l’isoloir me fermer une enveloppe bien vide et bien stérile. Voter blanc ne sera jamais une solution je le sais. Sans compter qu’on va se torcher généreusement le cul avec mon bulletin... Drôle d’impression que de faire un geste qui ne sert à rien en fait, n’aura aucun écho, aucun sens, aucune portée. Pas même l’humour du bulletin nul, rien de sa dernière révolte un peu suicidaire. De la branlette en somme. Un peu comme parler tout seul... Un peu comme tenir son journal.

L'enveloppe vide au fond, comme toujours, c'est moi.

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