Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 31 octobre 2006

cinquante-et-un (six pieds en soi)

Ca commence, tout va bien. On ne pense à rien, ni en bien, ni en mal ; on est, et c’est tout. Par exemple, on se promène au jardin des Plantes, par une belle après-midi, il fait beau, grand soleil chaleureux, plein de monde partout qui profite de l’automne estival : des cris d’enfants, des mères poussant poussettes, des pères heureux, des chiens fous de liberté, qui courent la langue pendante. Et alors, c’est tout à coup comme un souffle très froid qui naît au fond des poumons et remonte dans la gorge, qui pousse sous les yeux, glace les cheveux ; c’est comme une explosion endogène qui cherche à expulser toutes les choses intérieures, du sang et des organes jusqu’aux états d’âme et sentiments, jusqu’au cœur, jusqu’à l’esprit, qui donne envie de dégueuler, qui donne envie de s’écrouler, de s’évanouir, de défaillir, qui donne envie de sortir son revolver et de se le retourner contre la tempe ou même bien au fond dans la gorge, et peng ! de s’exploser le crâne comme une vulgaire coquille. On sent déjà le sang qui coule, on le sent sur la langue, au bout des doigts, on le sent bouillir au creux des veines ; les membres aussi se raidissent, mais le coeur s’emballe, et on se met à accélérer par soubresauts, dans un équilibre instable. Ca paraît assez long, mais c’est sans doute très court en temps réel, quelques secondes, pas plus, et puis ça y est, la mauvaise humeur est installée.

La mauvaise humeur, c’est pas simplement s’être levé du pied gauche et ne pas dire bonjour à sa voisine quand on descend la poubelle, c’est pas simplement une colère sans fondement, une envie de rien faire, de rien aimer ; la mauvaise humeur c’est le reflux brutal de la bile dans tous les organes, dans tous les systèmes, qui tend les nerfs, noue l’estomac, se mêle à la salive comme un venin prêt à cracher, pénètre les veines et torture le cœur, pollue l’âme et les idées, fait disjoncter le sens commun. La mauvaise humeur c’est ce qui explique peut-être qu’on soit si malheureux et depuis si longtemps et sans qu’on n’y comprenne rien, alors que tout va bien, qu’on ne voudrait rien changer, qu’on est content somme toute à sa place, avec son boulot sans avenir et son salaire de misère, qu’on ne saurait pas faire autre chose de toute façon, et qu’on n’a pas l’ambition de participer aux courses folles qui agitent ses semblables. C’est ce pourquoi on se sent toujours plus seul encore en groupe qu’en sa propre compagnie, et malgré ses amis, malgré ses amours, et bien qu’on aime tant les fêtes et les filles et les ivresses, et rigoler, et parler, et vivre en fait ; c’est ce qui fait qu’on est triste et tellement habitué à être triste.

Ma tristesse à moi, je l’accepte et je l’adopte. Elle me convient. Je ne sais pas si les gens savent que je garde ce petit animal en ma cage intérieure, qu’il me tient compagnie depuis tant d’années, qu’il m’est fidèle comme je lui suis fidèle ; mais rien ne semble l’indiquer. Parce que je le cache. Qu’il se tapit, le moche, le pouilleux, le galeux, et qu’il sait que s’il se met à aboyer ou ne serait-ce que geindre en public, c’est la mandale assurée. Ce que j’écris ici et que je lance aux quatre vents, ce léger vertige qui me parcourt encore quand je rêvasse à ma fenêtre ou quand arrive le métro, et qui se met à bouillir d’émotion quand les bonheurs comme les malheurs sont trop intenses, ou même parfois pour rien, par surprise, comme au Jardin des Plantes, je n’en fais part à personne. Parce que c’est trop effrayant, que c’est trop puéril, trop ridicule. Ce n’est pas digne d’une grande personne, d’avoir son mauvais feu à soi, pas conforme à l’image d’adulte raisonnable et sage, et serein ! que je cherche à offrir aux autres et à moi-même. Voilà pourquoi je n’arrive décidément pas à ouvrir mon cœur à quiconque : ce serait comme cracher à la gueule de quelqu’un après avoir croqué dans une tablette de chocolat. Bien amer… Mais qu’elle disparaisse, ma tristesse, qu’on me l’enlève, mon malheur, et je ne saurais plus qui je suis.

***

On l’aura compris, ces pages me serviront désormais plus à déverser mon trop-plein de fiel, de bile, de mauvaise humeur, qu’à débattre d’idées profondes et réfléchies avec des lecteurs qui sont pourtant de plus en plus nombreux, malgré la distance que j’ai prise avec eux, et qui bizarrement ne semblent pas encore s’être lassés de mon sale caractère. C’est un peu dommage de laisser tomber cette part essentielle du concept de journal moderne, d’abandonner lâchement l’idée d’échange, de partage, mais d’une part je n’en ai plus ni le temps ni l’envie - oui, je me répète -, et d’autre part il est clair que ça va me permettre de m’affranchir d’un poids bien encombrant, de cette sorte d’autorité morale que constitue le jury du lectorat, de me débrider, de m’élever peut-être, de dire enfin ce que je veux, quand je veux, sans craindre de plaire moins. J’ai conscience de m’être quelque peu radicalisé. Je sais bien que mes notes se sont même sévèrement alourdies, à quel point elles sont empesées, ampoulées.

Je me souviens aussi avoir commencé ce journal en disant que seule comptait la narration, et qu’on verrait ce qu’il ressort, ou pas, du reste ; je me souviens avoir écrit qu’il importait peu de savoir qui je suis. C’est une erreur, que j’ai comprise assez vite, et je pense désormais le contraire exactement. Rien ne m’insupporte tant aujourd’hui que de raconter une anecdote à la con sur cinq mille signes, dans le but unique de travailler mon style, de ciseler mes phrases comme on taille un bout de bois, et de recueillir des compliments enjoués sur ma plume. Tout ça, j’en n’ai rien à foutre. Là par exemple, je sors d’une histoire de téléphone et de taxi qui s’avérait pas mal, il y avait un bon thème d’attaque, du suspense, une pincée de surnaturel et une bonne dose de romance ; c’est malheureusement assez vite parti en eau de boudin. J’ai eu beau tenter de pimenter la narration à grands coups de formules de style bien trouvées, de vocabulaire abscons, de ruptures de rythme, rien n’y faisait, et c’était long, c’était plat, c’était mou. Un long torchon qui s’étirait sur quatre pages et dont on ne pouvait tirer qu’un jus douteux. De la soupe. Du flan.

C'est terminé. J’ai troqué ma plume contre ma pelle et ma pioche.

Commentaires

BOOOOOOOOOOO c'est Halloween.
Les demons sont de sortie ... fiente ou fiel, peu importe, crache, gerbe, raye, fais comme chez toi .
Fuck de merde, ca me parle tout ca !

Écrit par : Sblab' | mardi, 31 octobre 2006

Moi qui te découvre pour la première fois, j'espère bien que tu continueras à écrire aussi bien en narrant tes états d'âmes ...

laurent
http://blog.laurent.eu.org

Écrit par : laurent | mercredi, 01 novembre 2006

Eh bien je te suivrai dans ce changement cher Mossian.

Bisou de pelle et de pioche.

Écrit par : Moon | jeudi, 02 novembre 2006

Bonne idée...

Écrit par : Soph | vendredi, 03 novembre 2006

Ça faisait longtemps que je la cherchais, celle là.
"C’est ce pourquoi on se sent toujours plus seul encore en groupe [...], c’est ce qui fait qu’on est triste et tellement habitué à être triste."
Complaisons nous donc, car TM , j'aime ta version black blues.

A texte non interactif commentaire non interactif.
Viva la pella.

Écrit par : Ginette dans l'âme. | samedi, 04 novembre 2006

@ thomas : beau post ... et si tu te foutais de parler de toi, nous pauvres lecteurs c'est bien toi qu'on lisait/lit ....
A tout bientôt et bonne pioche .... *
Ne nous oublies pas trop vite non plus.

Écrit par : Mini Fée | samedi, 04 novembre 2006

Sblab : tiens, c'est bizarre cette année on n'a presque pas entendu parler d'Hallowen de ce côté de l'Atlantique. Mais ouais j'ai peut-être l'air d'une vieille citrouille ;)

Laurent : alors bienvenu, j'espère que tu reviendras... En attendant la prochaine note tu en as cinquante en souffrance.

Moon : bisou de pelle et de pioche ?! Tu veux dire avec la langue ? Mmmm ;)

Zaz dans la Ginette : l'interactivité, c'est le mot que je cherchais ! La prochaine fois que je lutte sur un mot, je te fais signe.

Lil Fairy : je n'oublie rien... Merci pour le com...

Écrit par : Thomas | dimanche, 05 novembre 2006

aaaaaaahhhh!
te revoilà, enfin!
j'ai savouré tes 2 derniers paragraphes...
les précédents paragraphes sont plus noirs et je ne t'y reconnais pas trop, tu es plus distant, plus loin.
bizarre
(je reviendrai te lire jeudi, quand je serai en week-end, à tête reposée... là je suis crevée!)
à +

Écrit par : sofu-sofu | mardi, 07 novembre 2006

ça fait un bail que je "devais" (enfin voulais plutôt) lire cette note super noire, mais qui, au moins reflète ce que tu veux.
va, jardinier, va cultiver ton potager, remuer la terre, cueillir les fruits... et reviens nous... whenever you want...

Écrit par : Dorothée | dimanche, 12 novembre 2006

Sofu : rien de bizarre. Encore une fois ce n'est qu'une manière d'évacuer. Une saignée, quoi. Après, ça va mieux.

Dorothée : une prochaine note, bientôt si tout va bien.

Écrit par : Thomas | lundi, 13 novembre 2006

Bon, on attend, bien gentiment

Écrit par : Sblab' | lundi, 13 novembre 2006

Les commentaires sont fermés.