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lundi, 02 octobre 2006

cinquante (qui-vive)

On regardait le journal télévisé hier soir chez mon ami ***. Lui aussi adore la téloche et admire comme moi son art de montrer sans concession la bêtise hallucinante des gens qui nous entourent, la misère profonde, l’absurdité totale, l’échec même de toute forme de société, d’existence, d’humanité. On a vu par exemple cette ville du Nord de l’Angleterre, dont les caméras de surveillance des rues se doublent désormais d’une voix (en réalité, un agent de police derrière ses écrans de contrôle) qui rappelle à l’ordre le méchant contrevenant. Tu jettes un papier par terre ? « Le monsieur en gris, là, vous êtes prié de ramasser ce déchet ». Tu te promènes une bière à la main ? Le doigt de dieu se pointe sur toi. On ne pourra bientôt plus traverser en dehors des clous. On n’aura plus le droit de mettre un pull bleu avec un pantalon noir. Big Brother is now talking to you… Même réaction pour nous deux, donc, face à l’annonce par la journaliste que le reportage qui suivait pourrait heurter les plus sensibles par ses images choquantes : une satisfaction bruyamment appuyée qui en dit long sur notre situation de jeunes occidentaux décérébrés, oisifs, avides de spectacles sanglants. A moins que ce ne soit qu’un moyen de prendre du recul face à la gravité des choses ? De « rire de tout de peur de devoir en pleurer » ? Toujours est-il qu’on en a eu pour notre compte. C’était les émeutes en Palestine, ou plutôt, dans la bande de Gaza, on voyait des hordes de furieux manifester en hurlant, kalachnikov en bandoulière ; et puis ça a dû dégénérer, des types se sont mis à tirer dans tous les sens, jusqu’à ce moment où, en embuscade au coin d’une rue, l’un d’entre eux se découvre un instant et peng ! se mange une balle, une seule balle en pleine tête, qui lui coupe le sifflet, le souffle et lui siffle la vie. Par terre le bonhomme, aussi mort que mort.

Là, on aurait bien voulu rigoler mais c’est la surprise qui a pris le dessus. C’est pas tous les jours qu’on voit un type, même à travers un écran, se faire flinguer en direct. Vivant / mort. Pour de vrai. Quelle idée lui est venue de se lever ce matin ? Pourquoi n’est-il pas tranquillement resté chez lui à ne rien foutre, comme je le fais, pourquoi ne pas s’être tenu à l’écart de toute cette agitation, de toute cette folie qui pousse jusqu’aux portes et parvient même parfois à pénétrer chez les gens ? Qu’est-ce qui a valu qu’il offre ainsi sa carcasse à la guerre, celle des hommes d’abord, et celles des images de surcroît ? Voilà à quoi mène l’investissement dans les rapports aux autres. Voilà ce qui arrive quand on commence à prendre au sérieux les affaires des hommes, quand on se met à attacher de l’importance à des notions aussi primaires et vaines que celles de territoire, de pouvoir, de dieux.

Je ne me lie à rien, je n’aime personne pour ces raisons précises. Mon credo, observer, décrire, analyser ce qui m’entoure, avec un pied en retrait, sur le qui-vive, toujours prêt à ramasser mes affaires et filer en dix minutes montre en main si jamais toute cette animation furieuse et vide de sens se met à vouloir me tomber sur le dos à moi aussi. Parce qu’elle n’attend que ça. Elle sait se faire discrète et rôder, la vicieuse, guetter le moindre instant d’inattention, le plus petit relâchement, et voilà, on se retrouve à se la donner en société parce qu’on est allé au Ritz, par exemple, ou à saliver devant des costumes à quatre chiffres, à étaler sa science misérable pour épater une galerie non moins méprisable. Ca m’arrive à moi aussi d’y croire, à la vie. A me dire que c’est sérieux. A espérer des choses, à en regretter d’autres, à penser que de les faire de telle ou telle manière pourra avoir de l’importance. Quand je tombe amoureux, moi aussi je sais que c’est pour toujours, qu’on est les seuls à s’être jamais aimés aussi fort. Les échecs, qu’ils soient sentimentaux, professionnels, m’atteignent et me meurtrissent encore profondément, comme s’ils pouvaient avoir une quelconque incidence sur la suite des événements, comme s’ils allaient empêcher le soleil de se lever le lendemain. Il y a même une époque où, en situation plus ou moins aussi précaire qu’aujourd’hui, je me souciais des problèmes d’argent en fin de mois, quand, poursuivi par la banque, on me donnait un délai de deux semaines pour combler un découvert ; je m’inquiétais, je m’énervais, je perdais mes moyens, et puis deux semaines plus tard le découvert était comblé comme par miracle, parce qu’on trouve toujours une solution à tout, parce que tout s’arrange toujours, parce que rien n’a d’importance quand on sait rester calme et en retrait. Les problèmes de gens se règlent aussi facilement que les problèmes d’argent, et s’oublient, s’estompent, s’évanouissent avec le temps. Alors, à défaut de bonheur, on trouve au moins le repos, le silence, la sérénité ; on dépasse la conscience pour accéder à la surconscience.

La surconscience, c’est justement le fait de réussir à toujours poster son regard non seulement au-dessus des autres et de ce qui les anime, mais de soi-même également, et de se voir évoluer, marcher, parler, rire ou faire l’amour, aller au supermarché, prendre le métro, des taxis, téléphoner ; c’est se voir écrire son journal, espérer bêtement que son billet plaira, qu’il sera vivement commenté ; c’est contempler le pantin en chiffon de son enveloppe corporelle et se dire qu’il est parfois, souvent, toujours bien ridicule. C’est tenter par tous les moyens de s’arracher à cette enveloppe et de s’élever par l’esprit, avec distance, avec critique, mais c’est avoir compris aussi que même l’esprit ne vaut rien, et que ce qui retourne à la terre, à la fin, c’est bien cette carcasse et rien d’autre, qui une fois plantée là donnera peut-être un arbre, une fleur ou un peu d’herbes folles. Tu l’auras ta réincarnation, mon vieux militant mort au JT, mais sans doute pas celle que tu crois, et certainement pas de paradis ni de dieu ni de vierge, avec un peu de chance si tu te décomposes correctement tu vas nous pondre un joli pissenlit, et c’est ainsi que la vie continuera, et tu auras trouvé le meilleur moyen, je te le dis moi, de faire tourner le monde.

On me reproche souvent de ne pas vouloir m’investir dans les rapports aux autres, de rester toujours critique à l’égard de mes amis, distant avec mes femmes, méfiant vis-à-vis des relations nouvelles. Pardon de ne pas sauter au cou de mon nouveau voisin, pardon de ne pas l’aider sur-le-champ à monter ses cartons, à emménager son appartement, et pardon de ne pas être cordial avec cette dame, pourtant fort sympathique, qui m’adresse – fait exceptionnel – la parole dans le métro. Pardon si les amis de mes amis ne sont pas mes amis, si les liaisons virtuelles me semblent sans espoir et sans avenir, s’il me paraît improbable de faire des connaissances durables en soirée, ou au travail, ou dans la rue. Je voudrais bien, moi, savoir me lier facilement, simplement, spontanément à mon prochain, je ne demande même que ça, de l’aimer, de partager sa route, ses envies, ses loisirs et ses préoccupations, même pour quelques temps, pour un instant seulement ; je voudrais bien savoir me fondre avec lui dans une foule intense, manifester sous les mêmes banderoles, sous les mêmes bannières et sous le même mot d’ordre, et me sentir enfin partie d’un tout. J’y arrive aussi, parfois, au cours d’une soirée ou d’une nuit bien arrosée, comme avec ces deux filles, ces chères renardes rencontrées lors d’un mariage en Bourgogne, l’été dernier ; mais lorsque pointe le matin, et qu’on est dégrisé, et qu’on a atterri, on ne lit plus sur les visages et dans les yeux, à la lumière du jour, qu’un discours qu’on ne peut déchiffrer, qu’on ne peut comprendre, auquel on n’adhère plus. Alors il ne reste plus qu’à dire adieu à sa compagne d’une nuit, à se désolidariser de ses rencontres de la veille ; on ne partagera plus le même oreiller, ni les mêmes goûts, ni les mêmes attentes, ni plus rien à vrai dire, on se croisera peut-être au supermarché, on prendra les mêmes métros et on regardera les mêmes chaînes de télévision, mais on part chacun de son côté en espérant entendre enfin le cœur parler.

Cette note, suite à un petit pari, devait concerner la Rue de Beaune, journal de la fille emmêlée. J’avais préparé des choses, mené mon enquête, lancé quelques pistes. Je n’ai rien pu en tirer de bon. Il me semble que le désengagement de ma parole, même s’il n’a rien à voir avec ce que je lis d’elle ou ce que je sais d’elle, n’en illustre que mieux ce que je viens de dire.

Commentaires

hum... pas tout compris...

Écrit par : O' | lundi, 02 octobre 2006

Salut Thomas!
I miss you (boudu, ne parlant plus anglais... j'ai des doutes ; pourtant ça veut bien dire "tu me manques"?...Toi t'avais dit "I missed you" : tu m'as manqué? Oui, ça doit être ça)
I miss you, parce que je sens bien que tu ne veux pas passer trop de temps devant l'ordi., et tu as raison, mais bon! I miss you bon sang! Surtout si tu nous dis que tu passes du temps devant les nullités télévisuelles! Mais bon c'est comme ça!
c'est vrai, aussi que l'ordi. peut devenir une drogue, mais ça détruit moins le cerveau que la télé!
Bref.
Dans cinquante, il y a 5 §, et j'en ai fortement apprécié 2! ha!Ah!
à+ Thomas!
sophia

Écrit par : sofu-sofu | lundi, 02 octobre 2006

Eh bien j’espère que je donnerai un coquelicot tout chiffonné comme il sait l’être. Quelle prétention...

Pour le reste, être en surconscience et tout le tintouin, j’ai pas la force morale de commenter mais je comprends. Et tu as raison, les liaisons virtuelles sont dangereusement faussées.

Bien à toi

Écrit par : Moon | mardi, 03 octobre 2006

J'hésite entre qualifier cette note de pessimiste ou de lucide.
En tout cas elle me dérange.
Parce qu'une part de moi pense qu'il y a du vrai.
Alors que l'autre se dit qu'il fait chier Thomas à voir le mal partout.

Écrit par : Ana | mardi, 03 octobre 2006

C'est con, ça m'a remuée tout ça.
Un peu comme Ana.
J'ai tendance à penser excatement comme toi, sauf que moi, la plupart des gens me trouvent sociable et ecervelée.

Du coup je ne sais plus tiens.
Mais je suis contente de te retrouver sur cette note.
J'avais un peu décroché, ces temps ci, de la blogosphère.
Merci

Écrit par : Soph | mardi, 03 octobre 2006

Affreusement bien observé. Après l'esprit et le corps, voilà qu'il te reste l'âme à explorer. Et si tu devenais un jardinier aussi mystique que misanthrope dans un manoir sur une lande isolée ? Encore que, tu serais peut-être bien foutu de jouer les Heathcliff ou les gardes-chasse super sexe :-D

Écrit par : anne k | mardi, 03 octobre 2006

d'accord et pas d'accord; je pense que sur le fond tu as raison; mais pas sur la forme; pourquoi ne pas juste essayer de vivre sa vie, s'impliquer dans chaque acte quotidien, vivre les rencontres, qu'elles soient fugaces ou durables, juste vivre, aimer, pleurer, souffrir, rire; juste vivre et arrêter de se torturer; même s'il faut se forcer parfois; il y a bien peu de temps à passer ici; parfois je pars dans des délires de ce genre; et je regarde mon chat dans les yeux; il miaule et il ronronne; ça me recadre tout de suite; je me dis à quoi bon; il est con et heureux lui; il "vit" chaque minute; pourquoi je ne ferais pas pareil ? (mais lui il ne sait pas qu'il va mourir, c'est peut être là que réside toute la différence ?)

Écrit par : carareglisse | mardi, 03 octobre 2006

Je me demande si ce n'est pas la télé qui est absurde.
Il est absurde de voir un homme se faire tuer alors qu'on est assis dans son fauteuil.
A cette distance, tout nous échappe.
La seule chose que je retire de la vision de ce type de séquence c'est une constatation.
Je suis fragile devant l'image. Et ça me met en colère.

Écrit par : Rémi | mardi, 03 octobre 2006

O' : tu ne m'en veux pas ?

Sophia : ça me manque à moi aussi, à vrai dire, mais bon. Comme je l'ai dit, ça va revenir sans doute un jour. Pour l'instant, publier une note comme ça de temps en temps, sans trop traîner devant le PC, ça me convient tout à fait. C'est très agréable en tout cas de voir à quel point tu es attentive à la forme - comme moi. Et tu parles très bien anglais darling !

Moon : un coquelicot ? C'est pas anodin comme fleur, ça. Celle qui meurt quand on la cueille... Des bises.

Ana : oui, pessimiste, pas mal. Cet espace va surtout me servir, à présent, à me vider de ma bile. Au quotidien, j'espère ne pas être comme ça ;)

Soph : toi aussi tu as décroché ? C'est que ça fait du bien de temps en temps. Et tu sais je n'aurais pas cru que tu avais "tendance à penser exactement comme moi"...

Anne k : c'est toujours un plaisir de te voir ici. Ce que je préfère explorer, ça reste quand même les comportements humains :)

Cara : ben je veux bien mais si je pense comme ça, j'écris quoi moi ? ;)

Rémi : tout d'abord très honoré de ta présence ici, si tu es bien le rému auquel je pense. Tu as bien raison de dire que c'est la télé qui est absurde, qu'il est absurde d'y voir un homme se faire tuer. C'est ce que je pense quand je parle de guerre des images.

Écrit par : Thomas | mercredi, 04 octobre 2006

@ Thomas: Contente d'avoir un signe de vie de toi!! Et sisi, j'ai tendance aussi à penser qu'on nous demande d'être très investis, très sociables. Mais que parfois, on n'a pas envie, ou qu'on ne sait pas faire.
ALors on fait semblant.

Écrit par : Soph | mercredi, 04 octobre 2006

les hommes, les femmes, les relations homme/femme... plus les jours passent, plus je me dis que c'est compliqué mais c'est nous qui rendons les choses compliquées alors qu'elles pourraient être d'une simplicité déconcertante.

je comprends pas pourquoi tu t'excuses à ne pas vouloir être cordial avec une dame, ou avec les amis des amis... pourquoi te forcerais-tu à l'être d'ailleurs? on est suffisamment poli avec des gens avec qui on aimerait ne pas l'être (au travail par exemple)

sinon quelle idée de mettre un pull bleu avec un pantalon noir?? :)

Écrit par : Dorothée | jeudi, 05 octobre 2006

These sporadic notes suit me perfectly... my PC is "at the garage". ;*(. I am at an internet coffee. Didn' t grasp everything. Will re-read this when I get the beast back.

Chin up Thomas! They are good people out there: meee for example ;)

Écrit par : Neblina | samedi, 07 octobre 2006

ooopppps typo.... "TheRE are good people....."

Écrit par : Neblina | samedi, 07 octobre 2006

Oh, Thomas !

Je suis super triste : "les liaisons virtuelles me semblent sans espoir et sans avenir"... je suis déçue, Tomtom... Je croyais que nous deux, c'était à la vie à la mort.

Bon, sinon, je suis quand même bien contente que tu nous reviennes, même sporadiquement. Et j'aime beaucoup le quatrième paragraphe, je le feel deeply dans mon brain. (oui, en fait je ne suis pas Julie mais JC Vandhamme!).

Écrit par : Julie | dimanche, 08 octobre 2006

Soph : "on fait semblant"... A creuser...

Dorothée : cela dit, je fais toujours très attention à bien assortir les couleurs ;)

Neblina : welcome back !

Julie : Rien de virtuel entre nous, j'espère bien. Tu sais où sonner quand tu passes à Paris ;)

Écrit par : Thomas | lundi, 09 octobre 2006

tu me rassures! parce que pour quelqu'un qui écrit écrit comme Marc Levy (enfin comme Platon je voulais dire :)), ça ferait tache de ne pas assortir les styles & les couleurs :)

Écrit par : Dorothée | mardi, 10 octobre 2006

:((( Dorothée... faut pas être méchante comme ça avec Thomas... C'est pas gentil de dire qu'il écrit comme Marc Lévy.

Ca va, Thomas, je me rattrape ?

Écrit par : Julie | samedi, 14 octobre 2006

Mosieur Mossian est demande a la caisse centrale, ses fans le reclament .........
P***** Thomas mais qu'est ce que tu fous ????????????????????????

Écrit par : MOA | samedi, 28 octobre 2006

Sblab : pas la peine de censurer ! J'arrive, j'arrive... Bientôt ! Peut-être...

Écrit par : Thomas | dimanche, 29 octobre 2006

Ah tu es la ? Jamais tres loin, finalement !
A bientot peut etre ... t'en as marre, lasse ?

Écrit par : Sblab | mardi, 31 octobre 2006

Salut Thomas!
Tu reviens quand? tu fais quoi? t'as beaucoup de travail? t'es en vacances?
c'est quand que t'écris à nouveau ta vie, la vie quoi?
bouuuu... enfin!
Tu sais, tu pourrais écrire "une phrase du jour", par jour!
et des fois des textes plus longs!
C'est intéressant ça, un bon exercice d'écriture : une phrase du jour, pour l'humeur du jour...
à+
sophia

Écrit par : sofu-sofu | vendredi, 03 novembre 2006

Ben Sofu, c'est bizarre, tu n'as pas vu la dernière note ?

Écrit par : Thomas | dimanche, 05 novembre 2006

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