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samedi, 03 février 2007

cinquante-cinq (increvable)

On a beau avoir mille fois par jour une preuve supplémentaire que toutes ces histoires de dieu ça n’a jamais été que du bobard éhonté, qu’un misérable prétexte pour au mieux s’excuser d’être trop bon, ou trop mauvais, ou trop chanceux ou même malade, ou stupide, ou pas responsable, et au pire se donner bonne conscience quand on s’entretue joyeusement ; on a beau chercher à se flatter l’intelligence en croyant qu’on préside seul à ses destinées, il restera toujours un point qui me fera douter comme une écharde dans mes certitudes : c’est l’instinct de survie. Moi je serais dieu, je n’aurais pas trouvé mieux pour profiter pleinement, béatement, de la jouissance de ma création. Parce qu’en apportant cette assurance absolue, cette garantie éternelle que le jouet est incassable, qu’il sera toujours fiable, fidèle, qu’on sera le seul à pouvoir l’écraser, ou le démonter, ou le faire souffrir lentement, selon son gré, on fait preuve d’une cruauté incomparablement divine... L’instinct de survie, comme ça, sur le papier, c’est plutôt séduisant ; mais il suffit d’y réfléchir un peu pour comprendre que c’est le véritable boulet de l’humanité, de grandes ailes d’albatros qui l’empêtrent dans sa condition consternante. Comme un genre de système nerveux à l’échelle du monde et du temps : et moi personnellement, si je pouvais éviter d’avoir mal quand je me coupe, je me raserais plus souvent.

Ca faisait plusieurs semaines que je sentais la dépression tapie pas très loin dans un coin de mon esprit, prête à bondir sur les convictions, sur les envies, les désirs, les projets que je me force à cultiver, plusieurs semaines que je voyais son ombre se mêler à la mienne, régler ses pas sur les miens. J’en avais déjà le goût amer quelque part en mes papilles. Et parfois déjà mon cœur s’emballait, semblant pomper au plus vite un flux délétère arrivé là par surprise. Mon rire a jauni peu à peu, sans que je ne m’en rende compte avant qu’on me le reproche ; j’étais paraît-il devenu désagréable, froid et sec. Et mou : c’est que ma libido m’abandonnait également. Une certaine Pauline, dont j’ai déjà parlé, ne comprenait pas qu’on puisse la délaisser… Qu’on ne désire, qu’on n’accepte plus que sa présence moite et rassurante la nuit contre son corps, comme pour se sentir encore un peu aimé alors que pour sa part on n’aime plus, qu’on n’a jamais aimé. Comme pour entretenir l’illusion qu’on n’est pas tout à fait seul emmitouflé dans sa vie... Aussi je n’ai pratiquement pas travaillé de tout le mois de janvier : mais cette paresse est un luxe que je ne peux certainement pas me permettre en ce moment, comme me l’a mal aimablement fait remarquer ma chère banquière l’autre jour. « Quelles sont vos prochaines rentrées d’argent ? — Aucune, quelle question ! J’ai décidé, Madame, de ne plus jamais travailler. Vous devez savoir comme c’est dur de vivre alors qu’on n’aime personne. Vous pouvez imaginer la difficulté que c’est alors de se lever le matin, de se coucher le soir, et de construire entre temps, sans l’aide de quiconque, un semblant de vie normale, toute étayée de projets et d’ambitions personnels – unipersonnels -, toute forcée de compréhension, d’acceptation, d’imitation des autres, et pourtant toujours pleine à déborder d’une hypocrisie, d’un dégoût bien involontaire. J’ai décidé de ne plus jamais rien faire… d’épuiser mes ressources sans en assurer le renouvellement… de ne plus mettre le nez en dehors de chez moi, de ne plus voir mes amis, de ne plus faire l’amour, jamais ! parce que même les plaisirs de l’alcôve ne m’intéressent plus, ne me touchent plus, et que toute cette comédie en est vraiment venue à me désespérer. Finalement je me laisse mourir ; au revoir, Madame. »

Un bien beau discours que je lui aurais tenu, à la banquière. Mais c’était compter sans mon système nerveux, sans mon instinct de survie. Parce qu’au lieu de ça, au lieu de lui couper le sifflet en la renvoyant à son statut minable de connasse derrière un bureau, et en lui faisant cruellement sentir toute l’inertie, toute la vacuité de mon existence, de son existence et même de toute forme d’existence, au lieu de ça j’ai bégayé trois mots d’excuses et d’explications absolument pitoyables... J’ai dit oui, non, j’ai dit rien. J’ai poussé l’humiliation jusqu’à lui mailer, histoire de la rassurer, mes dernières facturations en souffrance, tout en la remerciant pour sa « compréhension ». Un vieux puant de camembert oublié ne se serait pas mieux étalé. C’était la grande braderie de l’honneur, du respect de soi, de l’amour-propre, tout doit disparaître… c’était vendre son âme comme on vend son corps ! J’avais plus qu’à aboyer, en somme. Tout ça pour la survie de l’espèce, c’est quand même pas croyable ! Moi ce que j’aurais voulu à ce moment-là c’est que s’abatte sur mon dos une bonne vieille dépression des familles, histoire de couler bien loin au fond dans la misère et dans la peine, de crouler sous le poids insupportable de tout ce vide, histoire encore de me saouler généreusement de tout ce qui déglingue dans le monde et dans ma tête, de m’y abandonner, de m’y enterrer ; et là, tout enivré de malheur, de passé, de déçu, de mourir ou de revivre !

Tu parles.

Moi je serais dieu, pour profiter pleinement, béatement, de la jouissance de ma création, je la ferais souffrir exactement de la même manière, subtilement, cyniquement, en lui interdisant les sentiments extrêmes, les passions, les explosions de bonheurs ou de peine ; je lui refuserais certes l’amour, mais le désespoir aussi, et la laisserais ainsi flotter éternellement entre deux eaux nauséabondes. Oh parfois je lui offrirais bien à ma créature quelque raison de se réjouir, je lui montrerais ce qu’elle ne pourrait obtenir, afin de la faire saliver comme un chien de Pavlov, de la voir se démener et se débattre, essayer de s’extirper du piège de sa condition ridicule, de sa bouillasse infecte, pour toucher au sublime. Et puis à d’autres moments je lui ferais croire qu’il est si malheureux mon pantin, que sa souffrance est si vive, si insupportable, que seul un bon coup de revolver en plein caisson pourra le soulager ; je lui chargerais l’arme, lui mettrais entre les mains, et au moment fatal je retiendrais son coup : « il y a une femme qui t’aime, quelque part, près de toi ! Il y a le bonheur à portée de main ! », et toutes ces conneries de balivernes ; et ainsi de suite… De petits hauts en petits bas, il finira par comprendre, mon golem, à quel point c’est dur d’être juste médiocre.

Alors ? Alors je me suis rappelé au bon souvenir de mes contacts professionnels, remis au travail pour combler mon découvert, et à mon journal pour saigner un peu toute cette sale histoire. Parce que sans trop savoir ce qui nous pousse à avancer, on continue toujours, quoi qu'il arrive, à suivre son chemin, cahin, caha, mécaniquement, en suivant je ne sais quel instinct animal, poussé vers le sublime et repoussé par le boueux. Je m’en sors indemne, comme d’habitude, pas grandi mais pas blessé non plus, rien. On ne déplore qu’une seule victime : une petite Lilloise qui s’appelait Pauline.

Commentaires

You're back & so black, my little human God ... YEAH !



Je relis et reviens.

Écrit par : Sblab' | samedi, 03 février 2007

Enfin 45!!!

Le cru 45, c'est du bon... je pense qu'il est libérateur!

;-))

à+

Écrit par : sophia | dimanche, 04 février 2007

Oupss...



...Ah enfin 55!

Le cru 55, c'est du bon!!!... tout court!


à+

;-))

Écrit par : sophia | dimanche, 04 février 2007

Merci à toutes les deux :) Bises multiples.

Écrit par : Thomas | dimanche, 04 février 2007

Allez au boulot ! Courage...
et bises.

Écrit par : Mimi | dimanche, 04 février 2007

Hello,
En fait, tu aimes qu'on te remonte le moral :-)
On m'a dit un jour à moi aussi que j'aimais me complaire dans la médiocrité. C'est comme une tape sur notre museau de chien de Pavlov et c'est pas très agréable à entendre.
"Back & so black", comme dit "Sblab'", I hope to read something more colorfull one day, little human God with a big heart.

Écrit par : Lux | dimanche, 04 février 2007

Comme je te lis comme on lit un livre (si, si), je n'ai pas du tout le réflexe de commenter ici. Chaque note se suffit à elle-même et si parfois tu m'énerve quand tu es trop cafardeux et complaisant, je te lis toujours avec délectation. J'ai adoré la sombre lumière de tes deux dernières notes, et j'aimerais bien t'obliger à écrire plus souvent, je me dis que peut-être qu'en prenant un air de banquière pleine de reproches je devrais y arriver.

Alors, Thomas Mossian, quelles sont vos prochaines rentrées de billets?

Écrit par : garance | lundi, 05 février 2007

Mimi, merci ! Même pas besoin de courage, je suis content de me relancer :)

Lux : mais la médiocrité, je ne m'y complais pas, bien au contraire ! J'ai toujours cherché à être soit le premier, soit le dernier. C'est aussi pour ça que je n'ai pas osé participer au concours de la note 52... Quel nase ! Quant à la couleur, je travaille avec tous les jours, alors faut me laisser un peu de répit.

Garance : complaisant ?! Comme tu y vas ;) Pour la banquière, j'imagine très bien le dessin que tu pourrais nous en faire ! Prochaine rentrée de billet, date inconnue. Bises.

Écrit par : Thomas | lundi, 05 février 2007

Et mais qui n'aimes pas qu'on lui remontes pas le moral???? enfin euh elle est claire ma question!!??

Écrit par : Sandra Parker | lundi, 05 février 2007

Et Pauline tu lui a envoyé ta note??

Écrit par : Sandra Parker | lundi, 05 février 2007

anne k, vieux crooner incognito au sourire ultra-brite :

you gotta accentchuate the positive, elimiiiiiiiinate the negative
latch on to the affirmative, don't mess with mister in-between

You've got to spread joy up to the maximum
Bring gloom down to the minimum
Have faith or pandemonium's
Liable to walk upon the scene...

Écrit par : anne k | mardi, 06 février 2007

En tout cas Pauline, elle lit des blogs, je sais pas lesquels mais j'espère pas celui-ci. En même temps elle comprendrait peut-être ce qui lui arrive :)

Anne k : une battle de références musicales ? Je te propose ceci :

"Moi je n'aime personne
J'embrasse qui me plaît
Quand ça me plaît
Je fais l'amour
C'est fort, c'est nul
C'est minuscule
A mort l'amour"

Une bouse oubliée des 80's.

Écrit par : Thomas | mardi, 06 février 2007

Des fois faut toucher le fond, s'appuyer dessus pour se donner l'élan de la remontée ? Mais faire angoisser une banquière, c'est agréable aussi...

Écrit par : Saoulfifre | mercredi, 07 février 2007

J'ai lu ta note, j'y ai pensé et puis j'ai oublié.
Tu ne m'en veux pas ?
Alors, en résumé, tu dis quoi ?
;-)

Doux baiser cher Thomas Mossian...

Écrit par : Jane | mercredi, 07 février 2007

C'est bien ce que je dis, Saoulfifre, mais pour toucher le fond encore faut-il couler. Moi, je flotte comme un vieux plancton prêt à se faire avaler par sa grosse baleine de banquière. Gloups !

Jane : t'en vouloir d'oublier ma note ? Je suis outré, oui ;) Alors en résumé, rien. Rien, c'est mon absolue synthèse :)

Écrit par : Thomas | jeudi, 08 février 2007

Thom ... qu'est ce que c'est ce nouveau manque de couleur , il fait froid ... tu as sterilise ton blog ?

Écrit par : Sblab' | jeudi, 08 février 2007

Ah du rien, ça fait du bien !

Écrit par : Jane | jeudi, 08 février 2007

Sblab : la stérilité de mes propos ne tient pas aux couleurs (ou non) de mon blog :) Je sais pas, j'avais envie de changement ! Et comme Jane, j'aime bien ce rien. Pas toi ?

Écrit par : Thomas | vendredi, 09 février 2007

"Ma philosophie est simple. Remplis ce qui est vide. Vide ce qui est plein. Gratte où ça démange."
Alice Roosevelt Longworth

Écrit par : Sblab' | vendredi, 09 février 2007

c'est bien de te saoir de retour mais moins bien de te savoir dans les griffes de la dite dépression ... take care Thomas ... et heureux que tu sois passé par chez moi j'ai cru un instant que tu boudais ...

Écrit par : Mini Fée | vendredi, 09 février 2007

Pour ma part, j'adore être arrogant quand je suis au fond du trou. Ponctuellement, c'est un peu l'orgueuil des vaincus. "Soigner l'âme par les sens, soigner les sens par l'âme", ca te fait pas retenir Pauline ?

Écrit par : FritztheCat | vendredi, 09 février 2007

Je n'ai pas encore tout lu, mais déjà pas mal, et je commence à envisager sérieusement de vous demander des cours. Vous vous en sortez somme toute...

Écrit par : Sand | dimanche, 11 février 2007

Sblab : très sisyphesque ton truc.

Monsieur la Fée : t'as lu trop vite ! Pas de dépression donc, pas plus que de boudin d'ailleurs ;)

Fritz : Arrogant ? Ce n'est pas, à ce que j'en sais, ce qui semble te caractériser le mieux. Désabusé, non ? Cynique ? Quant à Pauline, ... burp.

Sand : des cours ?! des cours de quoi ? Des cours pour "s'en sortir" ?

Écrit par : Thomas | lundi, 12 février 2007

Sans aller jusqu'à être insultant envers cette banquière, pourquoi t'empêcher de dire clairement ton refus du conformisme ambiant ? Etonnant tout de même que le vernis de bienséance, sans doute hérité de ton éducation, n'ai pas déjà craqué devant ton caractère. Allez Hannibal, sors de ton carcan, je t'ai reconnu..

Écrit par : balivernes | lundi, 12 février 2007

Thomas, ouais mais jsuis pas au fond du trou en ce moment. Je me contente d'être bourru la plupart du temps, ou bourré quand j'ai fini d'être bourru.

Écrit par : FritztheCat | jeudi, 15 février 2007

"Ca fait plaisir d'avoir de tes nouvelles"

Écrit par : Bill Jake | mercredi, 21 février 2007

balivernes : mon désoeuvrement va t'effarer, mais j'ai fait aujourd'hui un test pour savoir "quel héros de fiction" j'étais. Résultat : Hannibal Lecter. Ca promet ;)

Fritz : et bourreau, jamais ?

Bill : attends, une note par mois, c'est déjà énorme !

Écrit par : Thomas | mercredi, 21 février 2007

Une note par mois, c'est très précieux, très attendu et c'est énorme.

(Par curiosité, j'ai visité le "cru 45" suite au lapsuce de mon 1er comm.!
T m'y offrais le dessin de la rue du jour!)

Écrit par : sophia | jeudi, 22 février 2007

Sophia : et "lapsuce", c'est un lapsus aussi ? ;)

Écrit par : Thomas | jeudi, 22 février 2007

lapsus...


ah oui.
c'est ça.

^_^

Écrit par : sophia | jeudi, 22 février 2007

Mon cher Thomas, il n'y a que toi qui arrives à faire durer une note si longtemps par ses commentaires...

Baiser perdu de Jane...

Écrit par : Jane | vendredi, 23 février 2007

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