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dimanche, 28 octobre 2007

soixante (airs de rien)

Tout le monde écoute Britney Spears. Moi le premier. C’est un peu le pitch ici, la définition la plus simple, la plus raclée qu’on pourrait donner à ce journal, sa substantifique moelle en quelque sorte. Enfin je dis Britney Spears mais ça pourrait être Christina Aguilera, ça pourrait vouloir dire tout le monde lit Marc Lévy, adore Coup de foudre à Notting Hill, suit la politique ou le rugby lorsque c’est à la mode, veut rencontrer l’amour, se mettre au couple à la moindre occasion et faire des enfants au plus vite, au cas où, pour ne pas être seul, ne surtout pas être seul… pour oublier le monde réel, les problèmes, les infos et les impôts, la misère physique et intellectuelle, la dégénérescence de toute forme d’intelligence et d’humanité qui frappe de plein fouet dès qu’on aventure trois pas dans la rue. Pour s’oublier, en somme... Ca voudrait dire qu’on est tous pareils, quand on regarde pas au détail. Qu’on est putain de conditionnés, que y a qu’à nous dire « fais ceci, pense ainsi, mange pas ça, regarde TF1, joue à l’Euromillions, sois mon ami sur facebook » pour qu’on s’excite les sens et qu’on s’exécute comme d’ineptes broutards. En réalité on sent bien qu’on est comme eux, les gens qu’on critique, qu’on attaque, qu’on vomit, qu’on est pas meilleur ou ne serait-ce qu’un peu différent, malgré tous ses efforts ; mais la consolation ultime, à l’inverse, c’est de voir qu’on est pas abandonné tout seul dans sa bêtise. La sociabilité, mon cul ! la chaleur humaine on la cherche juste pour se complaire dans sa médiocrité.

La vérité c’est que j’écoute pas Britney Spears — à part Toxic, bon, d’accord. Mais pour ce qui est du couple, j’ai eu beau tenir de grands discours bien cyniques de vieil aigri méchant sur cette espèce d’entêtement qu’ont tous les gens autour de moi à se rentrer les uns dans les autres et d’essayer de pas en sortir jamais ou alors le plus tard possible, beau dire aussi que c’était pas à moi que ça risquait d’arriver l’amour et tout son cortège de falbalas, que j’avais le sang froid moi, que je restais sur le qui-vive moi, et qu’au moindre indice que toute cette agitation furieuse allait me tomber sur le dos je filais sans demander mon reste ; j’ai eu beau l’écrire à longueur de pages, il faut bien se rendre à l’évidence : j’ai pas couru plus vite que la musique. A force de se jouer toujours la même mélodie facile, d’écouter le tube de la vie qui passe en boucle à la télé et partout ailleurs on finit par l’avoir bien profond dans la tête, bien collé comme un chewing-gum et on se met sans même s’en rendre compte à le fredonner d’abord, à le chantonner ensuite, et puis très vite on se retrouve à l’entonner en chœur avec tous ses semblables comme aux plus belles heures du totalitarisme. La pensée unique, le conditionnement, le formatage, c’est pas des vains mots tout ça, il suffit pour s’en rendre compte de prendre le métro le matin et de voir toutes ces petites têtes bêtes penchées sur la même feuille de chou, tous ces gens sapés pareil, tous ces doigts vilains tapoter en rythme sur des claviers de téléphone ou d’ordinateurs. Je suis pas différent. J’y ai pas réchappé.

La madame Mossian du moment s’appelle donc Cécile ; qui suit un peu la connaît déjà puisqu’elle fut évoquée il y a quelques temps à l’occasion du déménagement d’un de mes amis, frère de la douce. C’était en novembre ou en décembre, Cécile vivait alors à Londres entre ses études et son futur mari après m’avoir éhontément quitté — un jour de saint Valentin et pour d’obscures raisons, encore — et s’accordait pour une existence réglée, justement, comme papier à musique. Pas très gaie, la musique... Un chef d’orchestre aussi vivant qu’un croque-mort, et des instruments qui ressemblaient plus à des casseroles et des fourneaux qu’à des trompettes et des trombones. Ca lui allait Cécile. Elle était heureuse comme ça, sans doute, si du moins elle se posait la question. Mais là voilà qui passe à Paris cet été lors de ses vacances, m’appelle un matin et se retrouve dans mon lit le soir-même. On s’est plus quittés pendant trois mois et jusqu’à l’autre jour en fait, où je l’ai accompagnée Gare du Nord ; entre temps la demoiselle a lâché son bonhomme et déménagé la moitié de ses affaires entre mes quatre murs, qui n’ont toujours pas compris ce qui leur arrivait... Moi non plus, pour tout dire — même si je suis ravi de retrouver ma jolie Cécile, que dans mon excitation je présente à tout le monde comme mon officielle. Retour de Londres dans quelques semaines, quand la belle saura un peu mieux ce qu’elle compte faire de son ancienne triste mélodie.

Mais qu’on aille pas croire que je lui joue une symphonie divine, hein. Bien au contraire et c’est ce que je veux dire depuis le début, j’aurais même tendance à penser qu’il suffit que je sorte la tête de l’oreiller, que je me débouche un peu les oreilles pour entendre à nouveau la rythmique faussement enjouée de la triste Miss Spears, et me dire que y a forcément un truc qui cloche. Curieux comme il est facile de se complaire, et même de se compromettre dans des comportements romantico-pré pubères qu’on avait jusque là toujours conchiés : la vie jamais l’un sans l’autre, les petits textos, les petits cadeaux ; les sorties au musées, au restaurant, au cinéma, le shopping, tout ça à deux, main dans la main les yeux dans les yeux ; les projets d’avenir, etc etc… J’ai même dit je t’aime, faut bien le confesser, et plusieurs fois encore ! avec la sincérité des mots, de l’esprit, du corps surtout, mais peut-être pas celle du coeur. Bref ça sent un peu la comédie surjouée tout ça, le Placoplatre de la relation amoureuse, le trompe-l’œil du petit couple heureux ; je voudrais faire comme tout le monde en somme, trouver ma place dans les dîners entre amis, savoir quoi dire quand au boulot on me demande « t’as quelqu’un » selon la formule bêtement consacrée, que je m’y prendrais pas autrement. Y a peut-être un âge, le mien en l’occurrence, où on finit par en avoir assez de sa solitude, des plats individuels, des choix unilatéraux, des coucheries d'un soir, de tout ce qu’on appelait jusqu’alors sa liberté, liberté tu parles ! Parce que moi à bien y réfléchir finalement j’ai jamais su dire si ça me convenait ou pas d’être aussi solitaire.

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