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vendredi, 29 décembre 2006

cinquante-quatre (l'amour in vitro)

Ce fut une sensation bizarre, brutale, presque humiliante, un sentiment que j’avais oublié depuis longtemps ; ça m’a fait comme une intrusion, une violation, c’est violent ces conneries, comme l’amour, comme le coup de foudre il paraît… on n’est pas habitué faut dire, peut-être pas fait pour ça. On marche, on ne pense à rien, et justement parce qu’on ne pense à rien et qu’en somme on est disponible, disposé, qu’on a l’esprit tout vierge de mauvaise humeur, ça frappe subitement comme une évidence… Je suis bien. J’aime cette journée, cette rue, cette vie, j’aime aller chez le marchand de journaux ; j’aime. Je me suis rendu compte l’autre jour, en traversant la rue, que j’étais heureux. On ne peut pas mieux le dire… Alors, on y pense.

Moi quand je pense que je suis heureux, je me dis heureux malgré tout, et malgré ma solitude, ma situation bancale, ce monde de dégénérés. Je crois que le manque d’argent, de confort, de stabilité ne sont rien, je crois que le manque d’avenir n’est qu’une chimère. Je vois qu’il me suffit d’avoir un peu de shit le soir, avec un mauvais vin, un livre ou du travail à finir, un petit dîner pas très bon, une banane comme dessert, pour me coucher tout seul dans mon lit double — parfois à droite, parfois à gauche — avec le sentiment que je n’ai pas trop raté ma vie. Qu’aujourd’hui encore j’aurais bien occupé mon temps. Que demain sera meilleur qu’hier, et que peut-être je rencontrerai une fille qui me plaira pour toujours, je tomberai sur une occasion professionnelle qui me rendra riche. Quand on en est là, quand on en arrive à ces extrémités, on ne la lâche plus, son idée, on en tire tout le jus, on la suce jusqu’au bout.

Et puis petit à petit, à y réfléchir, on commence à comprendre que ce qui n’allait pas sous le chapeau depuis tant d’années, cette impression constante que rien ne tournait rond, que le tournant c’était mal parti pour bien le prendre, c’est pas ce qu’on croyait… rien à voir avec de la mauvaise humeur, rien à voir avec le fait d’être malheureux par nature, ou pessimiste, ou dépressif, ou suicidaire… Pas d’araignée au plafond… On comprend juste que le bonheur, c’est loin d’être de l’absolu, mais qu’au contraire ça traîne dans le caniveau. Voilà ce qui m’a tant miné le cœur et l’esprit, des années durant, sans m’en rendre compte. Le bonheur c’est comme aller chez les putes. Le bonheur c’est tellement facile, tellement à portée de tous et de quiconque finalement. On le voit à la télé. On le voit dans les parcs, dans la rue, dans le métro même. On le diffuse, il se diffuse partout. Il vit, s’expose, s’impose. On est conditionné maintenant. L’opium du peuple, c’est ça et rien d’autre.

C’est juste ça. Seulement ça. On le cherchait le bonheur dans l’amour ou dans l’accomplissement, dans le hasard et dans la chance, dans l’horoscope, on révisait sa métaphysique ! On le croyait inaccessible, improbable, tout droit sorti des romans médiévaux, on le pensait fait pour d’autres, les gens normaux, optimistes, généreux, ce qui veulent des enfants par exemple, ceux qui en ont même déjà, on se dit qu’il va en falloir du boulot, et de la sueur et des larmes, pour se le façonner son bonheur, pour se l’accaparer, se l’apprivoiser ! On se dit que ça va être dur de faire l’effort de ne pas être trop repoussant, ou crétin, ou mauvais, qu’on en est loin encore de la vie parfaite avec sa femme la nuit et son bureau le jour ! Avec l’argent, et les amis, et les vacances, avec les soucis loin derrière et le sourire bien calé sur le présent ! Et les projets aussi bien sûr… Mais moi quand j’en viens à être heureux, c’est en un instant, d’une seconde à l’autre, ça tombe de nulle part, vraiment sans raison, j’ai déjà raconté ça pour la mauvaise humeur ; ça n’a pas de sens.

C’est comme ça pour tout. On parlait d’amour, l’amour c’est pareil… On le voit partout aussi… Les couples que je connais moi, c’est de la gnognotte ! Ca s’aime « un peu »… Ca se colle par désoeuvrement, par attirance, par peur de la solitude. Comme de se dire qu’on se marie par intérêt fiscal. C’est la pression sociale ! Rares sont ceux qui assument leur solitude ; aujourd’hui, quand on n’est pas maqué, on n’est rien ! Moi-même, et c’est bien là l’hôpital, j’ai toujours été suspicieux des filles seules, toujours été plus attiré par la copine du voisin. Pas par perversité. Une sorte de fallacieuse assurance de santé mentale. Et quand je pense, alors, au succès que remportent les sites de rencontres auprès des célibataires – et pas que les célibataires, à bien y réfléchir -, ça fait me carrément froid dans le dos... A mon avis tout ça c’est comme adhérer au club Mickey, le club du bonheur, en somme. Mais que peuvent bien imaginer une fille et un garçon qui se retrouvent pour la première fois après trois échanges de mails ? Est-ce que leur première pensée n’est pas : « sera-ce un bon partenaire sexuel ? Quel est son degré d’attirance ? Aimerai-je sentir ses mains sur moi ? »

J’ai rencontré une fille l’autre jour, en sortant du métro ; elle est venue m’aborder en me disant qu’on s’était vus à une soirée au mois de novembre, qu’on avait discuté. Aucun souvenir, j’avais encore trop bu sans doute. On a parlé cinq minutes et on a échangé nos numéros de téléphone, elle a rappelé, on est allés prendre un verre le lendemain. Pauline. Elle ne connaît pas grand monde à Paris... Il est prévu qu’on aille dîner un soir après les fêtes, elle aura mis un décolleté et moi une chemise, on fera l’effort chacun de plaire à l’autre en cachant nos défauts du mieux possible. Ce que je pense, c’est que quand on se réveillera le lendemain sous ses draps, il sera facile de se dire à quel point on a trouvé ça merveilleux et qu’on se manque déjà, facile de s’en convaincre, d’y croire vraiment ou bien de l’espérer. On pourra se revoir alors, s’y habituer, s’y conformer... L’amour, c’est comme moi mon bonheur, il me suffira de racler la semelle de mes godasses pour en trouver toujours un peu. Faut pas être un sale maniaque du sentiment je me rends compte. Les amis c’est pareil, faut pas avoir trop d’exigence ! Les miens ils sont ce qu’ils sont, mais je les connais depuis assez de temps pour ne pas leur en vouloir pour rien, jamais. Peut-être au bout d’un moment aussi je trouverais jolies les fesses de Pauline.

Voilà, c’est un peu triste à dire mais la vraie vie ça n’a rien à voir avec ce qu’on avait cru comprendre, rien de merveilleux ni de mystérieux ni de quoi que ce soit de transcendant, c’est même pas dur la vie, quand on est lucide un minimum. Et dire que j’ai mis trente ans à m’en rendre compte. Et un mois entier à l’écrire ! Allez, on n’en est encore qu’au stade de la théorie, Pauline j’ai pas encore couché avec, l’amour je l’ai pas trouvé même au fond de ma poubelle. On va se forcer un peu, histoire d’avoir quelque chose à raconter.

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