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vendredi, 24 novembre 2006

cinquante-trois (échos)

Des efforts, c’est vrai que j’en fais pas beaucoup dans la vie. Un peu tendance à me laisser porter par les événements, moi, à ne pas lutter pour rien, à accepter la fatalité comme elle vient et quelle que soit la forme qu’elle prend. C’est pas forcément un défaut d’ailleurs. Il me semble qu’on risque moins d’être malheureux à refuser de choisir entre optimisme et pessimisme, et à rester neutre tant que c’est encore possible. Mais il y a malgré tout une chose au moins à laquelle j’essaie de me tenir, c’est de toujours aller de l’avant. Tracer un sillon le plus linéaire possible, sans regarder derrière soi, sans regret, sans remord, sans trop compter le temps qui passe. Parce que franchement le sentiment le plus sordide que connaît l’espèce humaine, par delà la haine, l’envie, la colère, c’est quand même bien la nostalgie... Une sorte de sensation assez diffuse, très coulante, très molle, qui raplatit l’esprit, éponge le cœur, débande les membres. Qui mine les possibles… Et puis parfois, c’est inévitable. Il y a des choses passées qu’on reprend des années plus tard en plein dans les molaires. On voudrait bien faire comme si de rien n’était, plisser les yeux et se caler aux coins des lèvres son petit sourire ironique qui marche si bien d’habitude, pour faire croire que tout va bien, qu’on maîtrise, qu’on gère la situation, que rien n’a d’importance ; mais voilà, on a le masque gluant bien collé sur la face, on ne peut plus s’en dépêtrer, on a été trop surpris de se retrouver comme ça face à soi-même.

Des efforts, j’en ai fait moi pour me lever l’autre matin avec un déménagement comme seul programme. Pas le mien, non, mais celui de mon pote (…), qui abandonne enfin la proche banlieue pour l’ancien deux-pièces de sa petite sœur, à Paris en plein Marais. Déjà, le travail manuel, et porter des trucs à n’en plus finir tout au long de quatre étages, c’est pas forcément ma grande passion, mais quand en plus toute cette suée ça se passe chez mon ancienne maîtresse, c’est à désespérer de rendre service… Voilà, j’ai couché avec cette fille, dans son appartement grande classe propriété des parents, pendant plus d’un an et demi et sans jamais l’avoir dit à quiconque ; son frère l’aurait appris que je ne serais plus de ce monde. Il faut dire qu’elle avait vingt ans et pas beaucoup de jugeotte encore pour déterminer le pour du contre, et sans aller dire que j’en ai profité, ça m’a quand même bien facilité les choses. Depuis ses quinze ans que je la connaissais, je l’ai vue grandir et pousser, j’ai appris à la découvrir et peu à peu à la désirer. Une sorte de fantasme, de ceux qu’on veut réaliser… On a baisé dans sa chambre, sur le canapé du salon, dans la douche, sur le meuble de la cuisine. Par terre dans l’entrée. Contre la fenêtre du balcon. Elle rougissait au moment de jouir, ça lui colorait toute la rondeur de ses joues juvéniles et presque jusqu’aux yeux. Elle s’accrochait peu, caressait mal, n’embrassait pas ; elle avait le plaisir très égoïste de ceux qui le découvrent encore. Et puis, elle avait acquis on ne sait où une certaine maîtrise, à la fois charmante et redoutable, de l’art des relations hommes - femmes, de sorte qu’elle arrivait à cultiver mon désir malgré tous ses innombrables et souvent insupportables défauts. Par exemple, elle comprenait immédiatement si je commençais à me lasser d’elle, alors elle refusait toute rencontre pendant des semaines en faisant mine de n’avoir que faire de moi. Elle travaillait ma jalousie en me parlant de ses prétendants potentiels. Mais j’aimais ça... Quatre ans maintenant qu’on a fini par se quitter. Elle est partie terminer ses études en Grande-Bretagne, et n’est jamais revenue. Le mariage ne tardera pas.

J’étais là donc à traîner mes cartons à bout de souffle, tout en feignant l’extase devant ce lieu merveilleux que j’étais censé découvrir et dont je connaissais pourtant chaque recoin. « Vise un peu la cuisine ! Et cette vue ! Mais vas-y, sors, regarde depuis la terrasse… Et la douche… parfait pour deux ! T’es sûr que tu n’es jamais venu quand Cécile habitait là ? » Il y avait du monde heureusement et je crois que ma sale tête a pu passer inaperçue, mes sales grands yeux tout ronds, ma conne de bouche en cul. On a beau dire, on a beau faire pour oublier, la mémoire joue parfois de mauvais tours et ne rappelle jamais les événements qu’on voudrait. De quoi se souvient-on, à trente ans ? Des bribes de vie soigneusement sélectionnées par l’inconscient, et façonnées, redessinées à sa guise, renvoyées par à-coups, à travers les nerfs et jusqu’au creux du coeur. Pas étonnant que les vieux déglinguent. N’avoir que du passé, dont il est impossible de surcroît de savoir s’il est vrai ou faux, vie réelle ou fantasmée, n’avoir que du perdu en somme, du voulu, du déçu, et rien devant plus jamais, le voilà le drame de l’âge. Je pensais à tout ça et j’ai filé rapidement après je ne sais quel prétexte fallacieux, parce que toute cette histoire commençait à me peser ; mais je le dis moi, ce n’est que partie remise, cet endroit j’ai pas fini de le voir et qu’il me rappelle tous ces anciens tristes souvenirs de riante insouciance, d’amours interdites, secrètes, et de plaisirs envolés, comme avec un mauvais air d’Aznavour en fond sonore. Le temps qui passe, j’en ai bien bouffé et c’est pas demain que j’aurai tout digéré.

Mais quoi, serait-ce la douloureuse abstinence à laquelle Constance me contraint qui me fait voir ces fantômes ? Ou bien ma véritable nature qui, jusque là réfrénée, muselée, reprend subitement le dessus ? Pourquoi est-ce si difficile malgré la volonté qu’on a, malgré tous les efforts, et malgré les bonheurs aussi, de ne pas trouver son existence toujours un peu bancale, un peu branlante ? C’est moi ou quoi ? J’ai pourtant l’impression de tout faire pour avoir l’air normal et comme tout le monde, j’essaie de travailler, de m’habiller correctement, je prends le métro et même aux heures de pointe, je me force à aller nager, deux fois par semaine, au milieu de mes clones en maillot et bonnet… J’ai beaucoup d’amis et rencontre encore des gens tous les jours, je suis à peu près sociable, je ne me drogue pas, ou peu, j’ai des projets parce que c’est à la mode, parce qu’il le faut bien. Mais quand je reçois des faire-part de mariage, de naissance, quand je vois celui-ci s’endetter sur vingt-cinq ans pour s’offrir son sweet home de quarante mètres carrés, celle-là batailler pour sa carrière, et tel autre épargner sans relâche pour ses vieux jours, pour sa retraite, pour sa descendance, je ne peux que constater l’inertie qui est la mienne et me sentir comme à la traîne, lâché, abandonné par les conventions temporelles de mes semblables, auxquelles je voudrais bien pourtant savoir adhérer. Parce que s’unir pour la vie, faire des enfants, bâtir une carrière, c’est ni plus ni moins que le meilleur moyen qu’on ait trouvé pour comprendre que le présent, c’est toujours pas pire que le passé.

Des efforts, allez ! je crois que j’ai pas fini d’en rendre.

18:46 | Lien permanent | Commentaires (34)

vendredi, 17 novembre 2006

cinquante-deux (lorsque l’idiot pointe la lune, le sage serre les fesses)

Sans aller jusqu’à vouloir les passer au peloton d’exécution, j’ai du mal à accepter sereinement que les espèces de neuro-déficients qui viennent raconter bave aux lèvres leur vie minable dans Confessions intimes, par exemple, aient le même droit de vote que moi. Eh ! bien sûr je suis contre la peine de mort, mais aussi pas vraiment pour le suffrage universel direct. Même pour moi je veux dire. Que tout le monde s’exprime par les urnes, c’est bien, c’est essentiel. Mais je m’inquiète du fait qu’à force de ne pas connaître nos institutions, à ne rien biter aux discours et aux intentions de nos dirigeants, à leurs bilans, à ne pas suffisamment faire l’effort de réfléchir intelligemment à la question politique, on en vient à élire non plus celui qui sera le plus talentueux, le plus efficace, le plus légitime, mais le plus populaire. La popularité, c’est du vent… C’est loin quand même d’être un signe de qualité.

On dirait pourtant bien que c’est devenu le nouveau mode de scrutin, celui que tout le monde attendait, celui dans lequel chacun peut se reconnaître et se fondre. Elections Présidentielles ou Star Academy, même combat ! Alors quand une fille, qui se reconnaîtra peut-être, m’envoie un mail pour me proposer de participer à une sorte de concours littéraire sur le net, et même si je suis sincèrement surpris et flatté qu’elle ait pensé à moi, je ne peux que rester perplexe. Au moment même où j’officialise en quelque sorte ma prise de distance d’avec le lectorat, il s’agirait en fait de te demander, à toi qui lis ces lignes, de voter pour ma candidature, afin de lui offrir la chance, que dis-je, le privilège, l’insigne honneur ! d’être examinée par quelques scribes assermentés. Deux notes à peine, et pas des plus enjouées, publiées au mois d’octobre et jusqu’à maintenant, plus de Constance, plus d’histoires de cul, un humour en berne, des jérémiades au contraire à n’en plus finir, un style toujours plus verbeux ; c’est quasiment du suicide textuel. Et malgré tout, je m’en irais, moi, à la chasse au bulletin ? Il me faudrait alors subitement devenir un spécialiste des relations publiques, spammer au maximum tous mes contacts, repeindre les pages de mon journal d’incitations au clic, et faire ainsi ma promo, en clamant à qui veut l’entendre, et avec le sourire encore ! que je suis bien le meilleur ? que c’est moi qu’il faut élire ? Sans oublier bien entendu d’édulcorer généreusement mon propos… Parce que, c’est bien connu, le public – l’électorat - aime la variète. Ce qui est facilement accessible, un peu sucré, un peu rose. Confessions intimes, en somme. Il ne veut rien qui soit amer, le public. Rien qui soit parfois un peu sombre, un peu violent, un peu trop radical. Il veut rire et être heureux. Il veut être diverti.

C’est pas dans le vide de ces pages qu’il va trouver beaucoup matière à divertissement, hein. Et c’est pas pour lui faire plaisir ou gagner je ne sais quel prix formidable que je risque de changer quoi que ce soit. Et pourtant… Oui, bien sûr, il y a un pourtant, et là j’espère que la fille en question aura lu jusqu’ici. Pourtant, donc, je n’écrirais pas une ligne si j’étais mon seul lecteur. Je n’ai cessé de le répéter : ce qui me force, me pousse, me motive à creuser davantage, à labourer ma bile sans cesse, à passer des heures sur mon clavier pour ne finalement publier que le millième de mes mots, c’est l’espoir d’être lu chaque jour un peu plus que le précédent. Le concept du journal intime, cadenassé et caché sous son oreiller, très peu pour moi. Ca ne me soulagerait pas. J’ai besoin d’écrire à tous ce que je ne dis à personne. Besoin de ce cynisme à la Diogène, besoin de me branler généreusement sur la place publique, et que tout le monde en profite. Pardon si ça paraît prétentieux. Mais je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’un désir de reconnaissance ; il me semble au contraire que jamais mon but en ouvrant ce journal n’a été de me faire aimer de tous, ni même de quiconque… j’aurais l’impression justement de faire de la variète. Mais toucher le plus grand nombre, en bien, en mal, en doux ou en amer, et provoquer la réserve ou le dégoût, l’adhésion ou le dédain, oui, cent fois oui. C’est un désir de visibilité que j’exprime. Une volonté d’existence.

Vu comme ça, l’histoire du concours prend tout son sens... Mais non. Je n’y participerai pas. Pourquoi ? Les raisons susdites pèsent déjà lourd dans la balance. Mais c’est sans compter le fait que je suis mauvais perdant… Que l’échec me ferait ruminer pendant des semaines… Que je préfère, en somme, me draper dans une espèce de recul vaguement hautain, et tenter de croire à ma feinte fierté d’indépendant, plutôt que d’affronter le risque, aussi minime, aussi ridicule soit-il, d’une désillusion. Je ne l’ai pas raconté ici jusqu’à présent, mais il y a de cela quelques semaines, je suis tombé sur une occasion, miraculeuse et unique, de quitter mon statut plus que branlant de free lance pour un contrat bien au chaud, dans une petite boîte tout à fait à mon goût. Equipe jeune, visibilité d’un travail que je maîtrise parfaitement, salaire très correct et surtout, stable. Adieu, monde pourri du cinéma ! En enfer, le travail au black, pour les potes, pour des entreprises qui ne paient jamais ! Bonjour, la vie de salarié ! Je m’y voyais déjà. Quand on m’a annoncé que je n’étais pas pris, on m’a juré que ce n’était pas la qualité de mon book qui était en cause... J’ai compris alors que mes craintes d’avoir été médiocre à l’entretien étaient parfaitement justifiées. J’avais raison de croire que je m’étais mal vendu. Pas assez accessible, pas assez sucré, pas assez rose. Pas sympathique. La lucidité était revenue, et au lieu de travailler sur ce point-là, dans cette voie-là, au lieu de creuser les raisons de mon échec, d’essayer de repartir sur de nouvelles bases, de m’améliorer, d’apprendre à aller vers les autres, j’ai eu un geste de dédain, j’ai haussé la tête et je me suis renfrogné de plus belle dans les affres de mon quotidien, jurant en moi-même qu’on ne m’y reprendrait plus à avoir comme ça un peu d’espoir.

Laissons le soleil se lever de lui-même. Bon gré mal gré, et même si c’est de moins en moins rond, le monde tourne, quoi qu’on y fasse. C’est ça mon caractère. C’est ça mon idée, ma seule idée. Moi je resterai dans mon coin, sans faire de vague, sans faire tomber la foudre. Je laisserai les témoins de Confessions intimes voter aux Présidentielles pour le candidat le plus séduisant à leurs yeux bigleux, et les internautes cliquer pour les textes qui auront le plus de verve, de saveur, d’humour, pour les notes les plus sympathiques - et tant pis s’ils oublient que la sympathie est loin d’être une qualité, mais juste la première étape du processus d’enculade. Tant pis pour la visibilité. Tant pis pour les attentes. Je ne prends pas de risque, en restant ainsi à l’écart, n’est-ce pas ? Je suis frileux, peureux peut-être. Quoi ! Ai-je jamais dit autre chose dans ces pages ?

14:09 | Lien permanent | Commentaires (17)