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mardi, 23 mai 2006

dix-neuf (bleue)

La première fois que je l’ai vue, c’était à Nantes, de loin, sur le trottoir d’en face. J’avais alors peut-être 22 ou 23 ans, elle trois de moins, et descendait la rue en compagnie de ma cousine Anne et d’une de leurs amies communes. Je l’ai immédiatement trouvée jolie, et plus encore ; j’en fis part à mon cousin. Lui la connaissait bien, puisqu’elle est une amie d’enfance de sa sœur, mais il semblait curieusement moins enthousiaste. « Elle s’appelle Constance ».

Constance vivait donc, comme la famille de ma mère, à Nantes, où je me rendais régulièrement. Parents très bourgeois, catholiques pratiquants, quatre enfants, la messe le dimanche. Pas de télé. Ca déconnait pas, chez eux. Tout était fait pour laisser le moins de liberté possible aux enfants, et les pousser sur les rails d’un formatage qui devait les conduire du camp scout à l’école de musique, et du rallye jusqu’à la prépa – HEC de préférence. Mais il n’y a rien de mieux, je crois, pour dégénérer des gamins. Ca n’a pas manqué… Les deux grands frères, un an d’écart, étaient des garnements plutôt vifs, et même sacrément turbulents, obligeant parfois leur mère à venir les chercher en pleurs à l’hôpital ou au commissariat. Ils volaient des cigarettes, tuaient des chats, fuguaient pour l’aventure ; vers l'âge de douze ans, ils ont cassé leur tirelire et sont partis voir les putes, qui leur ont ri au nez. Les corrections du père n’y changeaient rien. La petite sœur, pas débile mais pas loin, a fait le désespoir et la honte des parents en ratant lamentablement à peu près tout ce qu’elle entreprenait. Constance, la troisième, a toujours été la plus sage et même la plus brillante. Tout en restant, bien sûr, la plus jolie.

Un beau visage ovale, encadré par des cheveux lisses au-dessus des épaules, le plus souvent simplement attachés en queue-de-cheval, le regard ferme et sévère, un nez droit presque grec, des lèvres fines et pincées. Un long cou, des épaules bien dessinées, un corps très fin aussi. J’ai toujours trouvé que Constance ressemblait à une statue, à quelque déesse mythologique. D’ailleurs, elle ne parle pas beaucoup, n’est pas très expressive, a des mouvements délicats, particulièrement lents. Et une distance au fond des yeux, qui passe la plupart du temps pour une sorte de froideur, voire de tristesse endogène – ce qu’elle dément avec plus ou moins de succès. Et c’est vrai qu’elle n’a jamais eu l’air très heureuse, la belle Constance, malgré ses succès, ses amis, ses nombreuses relations amoureuses. Aucune véritable passion, pas d’attachement particulier pour quiconque et même au contraire, un genre de détachement de toutes choses, qui lui fait dire le plus souvent « ça m’est égal » ou « comme vous voulez ». Voilà ce qui passait pour de la sagesse aux yeux aveugles de ses parents. Voilà sans doute pourquoi elle a fait de si brillantes études scientifiques. Voilà pourquoi elle ne s’est jamais rebellée contre l’autorité, et n’a jamais véritablement fait sa crise d’adolescence. Tout semble lui convenir, elle accepte chaque chose avec sourire et gentillesse, et sans déplaisir, je crois. Mais sans vrai plaisir non plus, et parfois comme avec une pointe de fatalisme.

Voilà, je crois que Constance est fataliste. Ce qui ne veut pas dire, vous l’aurez compris, qu’elle se désole de tout, au contraire : c’est une fille qui accepte la vie telle qu’elle est, qui se plie aux événements, un vrai roseau. Pourtant, un soir, alors qu’elle vivait encore à Nantes chez ses parents, Constance rentre d’un dîner tranquille chez une de ses amies, se fait couler un bain et entreprend de s’y découper méthodiquement les veines de l’avant-bras et des cuisses, avec la lame précise de son cutter. Son sang bouillant se mêle à l’eau du bain, dans de gros nuages rouges d’apocalypse, se cheveux lui collent aux épaules, ses lèvres s’entrouvrent et ses sens s’échappent. Ses doigts se froissent et son œil se ferme. Constance, meurt. Son frère aîné, Marc, l’a découverte peu après ; inconsciente, elle vivait encore. Par chance, il est infirmier : il a su lui sauver la vie. Jusqu’à quel point ? Quelques temps plus tard, Constance quittait Nantes pour Paris, pour faire une thèse de robotique qu’elle ne finira jamais. Elle vit désormais près de chez moi, dans un appartement de sa grand-mère, avec pour seuls revenus le RMI et les largesses de ses parents. Elle est aujourd’hui encore, quatre ans après les faits, suivie psychiatriquement, mais de loin. De trop loin peut-être, enfin, j’en sais rien. Constance continue de tracer son sillon invisible sur cette Terre, en souriant, en riant souvent, mais sans avoir jamais pu expliquer – les connaît-elle seulement ? – les raisons de son geste, et toujours avec sa distance dans les yeux.


Elle n’avait pas encore ses cicatrices, lorsque nous avons couché ensemble pour la première fois. Mais comme je l’ai dit, je ne me rappelle aucun autre détail de cette nuit : quand, où, à quelle occasion, je l'ignore, et manifestement elle aussi. Je pense toutefois que ça devait être peu après notre première rencontre : je ne me souviens pas en effet lui avoir fait une cour assidue. En tout cas, ce n’était pas par amour, loin s’en faut, et nous ne sommes pas restés ensemble. Mais nous avons continués de nous fréquenter, et de baiser, comme ça, quatre ou cinq fois par an, au point je crois de nouer l’un pour l’autre une indéfectible affection, et au point qu’aujourd’hui, nos relations sexuelles sont d’une maîtrise charmante et fort agréable. Chacun sait parfaitement ce que l’autre aime donner et recevoir. Chacun sait ce qu’il faut faire ou éviter, évoquer ou taire. Je le disais, ça manque de surprise et de passion, et pourtant Constance reste une des filles avec qui j’aime le mieux faire l’amour. Elle a comme une tendresse animale et sait vous prendre dans ses bras, vous serrer contre son coeur comme personne d’autre. Aujourd’hui, elle est plus qu’une amie, plus qu’une maîtresse, et loin d’être seulement un « joker de cul » comme je l’évoquais injustement dans mon misérable éthylisme de fin de nuit. Elle est autre chose. Je ne peux pas mieux le dire ; de toute façon, Constance vit dans un autre monde que le mien, et que le vôtre.

samedi, 20 mai 2006

dix-sept (l'amour)

J’ai pris une grande décision. Une décision fondamentale.

La fin de cette phrase marquera mon arrêt total et définitif de toute tentative de baise. (Ca y est.) C’est-à-dire : je cesse par la présente de passer toute mon énergie dans d’improbables recherches de maîtresses, plans cul, assouvissements de fantasmes, coups de bite (pardon, pardon d’être vulgaire) et autres relations d’ordre sexuel sans qu’il y ait un espoir d’amour, de début vie commune, de construction quelconque à la clé.

La déception et le poids de l’échec m’écrasent. Me dépriment. Me minent le cœur et l’esprit. C’est une vraie, une totale remise en question. De celles qui non seulement font avancer, je le souhaite ; mais aussi - je le crains - qui font changer. Un retour sur soi. Une mise à distance, une mise en abîme : chercher à savoir qui l’on est, chercher à savoir pourquoi l’on est, pourquoi et comment on agit, pourquoi on est seul, pourquoi on éprouve le besoin d’une compagne - et quelle compagne. Alors que j’approche de mes quinze années de vie sexuelle, presque la moitié de mon âge, je me rends compte avec effroi que j’ai passé tout ce temps à baiser avec le vent, à baiser du vent, ma semence rare et précieuse, mon potentiel de vie, disséminé aux quatre vents. Pas une fois je n’ai fait l’amour. Pas une fois j’ai aimé en aimant. Seigneur, quelle catastrophe. Je ne sers à rien ni personne sur cette Terre.

(Je lutte contre le sommeil. J’ai trop bu. Je ne cesse de corriger mes fautes de frappe. Je ne vois rien. J’ai mal aux yeux, j’ai mal au cœur. Je finis juste cette note et je vais me coucher en regrettant de l’avoir publiée sans la relire en suivant les conseils de la nuit.)

Les faits.

Depuis mardi, son délicat baiser sur la bouche et son minimaliste « merci, et à vendredi », Charlotte la gracile n’avait pas donné de nouvelles. Pas plus que moi d’ailleurs. L’un comme l’autre, chacun de son côté, on attendait sans doute ce qui allait se passer en ce dernier jour de semaine. Par contre, le frère de la jeune oiselle, qui se nomme Laurent et qui, rappelons-le, est un de mes bons amis, m’a appelé entre temps pour me demander comment ça s’était passé avec Charlotte, si j’avais pu lui donner les conseils et les pistons qu’elle demandait. « Elle ne t’a pas trop embêté ? » J’ai rien osé dire.

Le jour dit, en début d’après-midi et alors que j’étais parti déjeuner à l’extérieur pour cause classique de rien dans le frigo, mon fidèle téléphone m’annonce chaudement que la belle me convie à un « petit dîner » dans la grande maison de ses parents, à Nogent sur Marne. « Il y aura aussi Marianne et Flo », ajoute-t-elle sans plus de précision. Mon premier sentiment a été de me dire que merde, j’avais pas du tout envie de les voir, ses amies. Je les connais pas moi. Un petit tête-à-tête complice rapidement suivi d’une longue nuit d’amour, qui plus est dans une vaste demeure bourgeoise, c’était le programme charmant et bucolique que je m’étais imaginé. Quoi, mince. Mais, l’esprit toujours optimiste et positif, et surtout mal tourné, j’ai fini par me dire que dîner entouré de trois jeunes demoiselles ne pouvait que m’être agréable, pour un peu que ça dégénère.

Arrivé relativement tard, peu avant 22 heures, armé de trois bouteilles du meilleur bordeaux du Monoprix, j’ai eu d’office la mauvaise surprise de constater que la Flo en question était un Florent (Florian ?) qui semblait plus que lié avec la dénommée Marianne. Pour faire vite, ils ne se sont pas quittés de la soirée, toujours collés et à s’embrasser de manière tout à fait déplacée, encore. Mais ce n’était que la première surprise. La seconde, c’était les dix autres potes conviés – moyenne d’âge 25 ans, peut-être moins -, en majorité des garçons ; et enfin, vous n’y croirez jamais : les parents. Les parents, vous dis-je. Le père, la mère : les parents. « Thomas ! ça faisait un moment qu’on t’avait pas vu, me lance le père, alcoolique notoire et déjà bourré au mauvais bouchon. Ca me fait plaisir ! » Et me voilà dès le départ alpagué par le paternel et sa matronne à côté qui dodelinait, à écouter des histoires de vendange, des souvenirs d’armée et des considérations plus que douteuses sur le maréchal Pétain. On s’habitue à tout, me répétais-je en moi-même, en écho à mes notes précédentes. Il le faut bien, c’est ça ou le suicide à l’arme blanche : une fourchette dans la gorge, devant l’assemblée. Impossible. Trop radical. Je buvais le plus possible, ce qui n’était pas compliqué puisque papa me remplissait mon verre avant même qu’il ne soit vidé. Sa piquette de table, j’en aurais goûté ; par contre, mon bordeaux, pas vu la couleur. Pendant ce temps, la Charlotte, pas l’air trop gênée, faisait l’hôtesse parfaite : accueil, service, conversation et sourires de circonstance.

A minuit et demie, alors qu’on commençait seulement à penser au dessert, j’ai considéré que le calvaire avait suffisamment duré. Je me suis excusé, j’ai appelé un taxi et j’ai filé sans même l’attendre. Charlotte m’a raccompagné à la porte du jardin, je lui ai dit au revoir sans l’embrasser.

Dehors, tout en guettant l’arrivée du taxi (vingt minutes : il faut que je fasse une note sur les taxis), je me suis saisi de mon téléphone et j’ai appelé sans complexe ni pitié ma bien nommée Constance – mon joker de cul. Plus encore : ma soeur, ma mie, celle qui m’accueille et me comprend en toute circonstance, surtout les plus dramatiques. Elle est de plus, et ce n’est pas négligeable, ma quasi-voisine, puisqu’elle habite derrière la place d’Italie. Peut-être est-elle un peu amoureuse de moi, depuis le temps, toujours est-il qu’elle ne m’a jamais fait le moindre reproche. Notre histoire remonte à si longtemps qu’on ne peut se rappeler – ni elle, ni moi – quand et à quelle occasion nous avons couché ensemble pour la première fois. Mais là, ça faisait bien six ou huit mois qu’on ne s’était pas vus. J’appelle donc Constance, qui décroche par miracle et accepte de me recevoir. Nous avons fait l'amour vite fait, mal fait (non, je dis ça pour la formule, mais c’était très bien, sans surprise parce qu’on se connaît trop bien, mais doux, tendre, chaud, bon, libérateur) et je suis parti vers deux heures et demie, lâchement, pendant qu’elle dormait. Elle trouvera à son réveil un mot d’excuses et une invitation à déjeuner demain, j’espère que ça ira.

Mon retour à pieds m’a laissé le temps de réfléchir à cette triste soirée, aux conséquences qu’elle devrait prendre, et à la note qu’il fallait que je rédige au plus vite.

Merci de m’avoir lu, si vous avez tenu jusque là, et pardon de vous avoir ennuyés. Pardon aussi pour le style bancal, les fautes de frappe, d’orthographe et de syntaxe, pardon pour tout. Je suis éreinté ; je vais me coucher.

Ah ! une dernière chose : c’est décidé, je reprends la cigarette.

jeudi, 18 mai 2006

seize (addiction)

La note « sept », datée du mardi 9 mai, commençait sur ce ton quelque part entre le badin et le péremptoire : « On s’habitue à tout ». J’ai un peu réfléchi à la question.

Je ne sais pas si c’est le cas de tout le monde, mais pour ma part, je suis un véritable caméléon, qui s’adapte avec plus ou moins de bonheur à la plupart des situations. Ma remarque du 9 mai s’appliquait à la masse de travail que j’abattais alors : quinze heures de boulot par jour, qui m’étaient tombées dessus comme la foudre sur la paralytique, et auxquelles, tel Lazare, je m’étais fait sans trop de problème - hormis un mal de genoux assez prononcé. Maintenant que je suis retombé dans une presqu’inactivité – je ne bosse pas avant au moins lundi -, il m’est possible de mesurer jusqu’à quel point je peux aussi me vautrer dans l’oisiveté. Rester assis sur une chaise, ou même debout, à ne rien faire, n’a jamais été une punition pour moi. Les heures passent ainsi, sans que je ne m’en rende compte et sans que j’aie besoin de tuer le temps d’une manière ou d’une autre.

Autre exemple. Je me trouvais l’autre jour, pour un rendez-vous de boulot, boulevard Malesherbes. A l’opposé de chez moi, donc, qui suis « stationné » entre Jussieu et Censier-Daubenton (plan ci-dessous pour mes fort nombreux lecteurs du vaste monde). Au bout d’une heure et demie d’un entretien plus que fatigant intellectuellement, je décidai de marcher un peu sur le boulevard avant de reprendre le métro, histoire de m’aérer l'esprit. Arrivé finalement à Saint-Lazare, autant pousser jusqu’à Opéra, sur ma ligne. Et c’est ainsi, par étapes, que je suis rentré à pieds chez moi. Aucune idée du temps que m’a pris cette petite balade. Je me suis à peine rendu compte que je mettais un pied devant l’autre.

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Cela s’appelle, je crois, l’addiction.

On pourrait citer encore ma propension à lire les livres d’une traite, à laisser tourner le même disque sur ma platine pendant trois mois, à regarder les films cent fois, sans m’en lasser, à manger japonais à chaque repas pendant une semaine, à rester 48h sous la couette avec une fille, quoi d’autre ? Ah, tiens, une année, j’avais peut-être vingt ans, j’étais parti à Londres où un de mes amis organisait une fête énorme. Je jure n’avoir pas dormi une minute pendant trois jours, c’est-à-dire, voyons voir, 72 heures. Et sans drogue, s’il vous plaît, enfin pas celle que vous croyez. Comment est-ce possible ? Espaces-temps facétieux ? Neurones manquants ? Super-pouvoir ? Mystère. Je m’habitue à tout, je vous dis. La routine, l’ennui, ça ne me fait pas peur. Pas plus, d’ailleurs, que les changements radicaux.

Vous vous demandez pourquoi je vous raconte cette histoire sans intérêt, n’est-ce pas ? Je n’en ai pas la moindre idée : mes doigts courent tout seuls sur le clavier.

vendredi, 12 mai 2006

onze (retour de bâton)

Le sort s'acharne sur moi. Tout mon potentiel chance annuel s'étant déversé en l'espace de cinq jours, la semaine dernière, il faut bien maintenant que je me résolve à l'évidence : la roue tourne. Une maîtresse à la maison (ou plutôt, moi chez elle, bon), un boulot tombé du ciel, plein d'argent (j'ai oublié de dire que j'ai aussi trouvé un billet de 20€ sur la ligne 9 ; je m'étais promis de le donner au prochain clochard sur mon chemin mais je n'en ai pas croisé, croyez-le ou non), de nouvelles relations, de réjouissantes perspectives d'avenir, tout ça, malheureusement, ce n'est pas gratuit.

Ca a un prix, que je paie aujourd'hui.

Personne n'ignore, pour commencer, quel accueil la perfide Sidonie a hier réservé à mes propositions alléchantes à plus d'un titre. J'ai l'air de prendre ça à la rigolade, mais apprendre que ma partenaire sexuelle quasi-exclusive se fait entretenir la tuyauterie par d'autres plombiers que moi, ça m'attriste réellement. Ca procure un sentiment étrange, fait à la fois d’attirance redoublée et de répulsion bien légitime. Je sais bien que cette attaque cruelle n’a pour but que de pointer du doigt les incohérences et mêmes les malaises de notre relation, et que j’aurais tort de me braquer. Me voilà donc bien contre mon gré en pleine phase « reconquête de Sido », cherchant des idées de cadeaux, câlins, surprises et autres douceurs. Un véritable calvaire, quand on sait que fondamentalement, cette fille m’est bien égale, que je ne suis pas plus amoureux d’elle qu’elle ne l’est de moi, et que nous sommes en plus profondément différents. Mais je la regretterai plus tard, c’est certain. Alors : efforts.

J’étais plongé dans ces intenses réflexions, hier soir, en rentrant d’un dîner (correctement arrosé) chez des amis dans le douzième, quand le taxi, arrivé devant chez moi, me lance :
— Ben j’en connais un qui s’est débrouillé pour ne pas rentrer seul », tout en désignant un couple tellement enlacé qu’il en avait du mal à marcher. Le type avait la main sur les fesses de la fille et semblait lui susurrer des trucs salaces à l’oreille, ce qui faisait manifestement couiner la petite. Con de taxi, j’aurais dû lui demander de quoi je me mêle. Mais la répartie, ça ne marche que quand c’est écrit d’avance, moi j’ai jamais pu y arriver en direct. Bref, je paie (le chauffeur a gardé la monnaie sans même que je lui propose, comprenant que je ne le ferai sans doute pas), descends et arrive à hauteur du couple. Catastrophe ! c’était Karen, la Danoise, avec un grand gars beaucoup plus fort et grand et beau que moi ! Dire que je la pensais secrètement éprise de mon allure d’artiste. Mon cul oui. Elle se tape tout Paris, et elle doit faire le mur, en plus, parce que ça m’étonnerait que mes voisins la laissent sortir avec des pervers jusqu’à deux heures et demie du matin, et en semaine encore. D’ailleurs, elle a eu l’air bien embêtée que je la surprenne en pareille position. C’était son tour de bafouiller et bredouiller (alors que le bonhomme, lui, m’a lancé un regard aussi rieur que méprisant). Je l’ai plantée là et j’ai avalé quatre par quatre les marches qui mènent à ma pesante solitude.

Trahi par les filles deux fois en une seule journée, c’est dur. Je me demande quelle tuile va bien pouvoir me tomber dessus aujourd’hui.

jeudi, 11 mai 2006

neuf

Bon, alors je viens d'avoir Sido par mail, puis au téléphone. Sympa comme je suis, je lui proposai un petit week end en amants, tout ce qu'il y a de plus classique.

— On réserve une chambre d'hôte avec vue sur la mer, lui dis-je en incorrigible romantique, tu prends ta tenue la plus légère, on loue une voiture, et on baise non stop pendant 48 heures.

— Merci, pour ce qui est de baiser j'ai eu mon compte hier soir, m'a-t-elle rétorqué.

Précisons qu'hier, j'étais chez moi avec un joint et du travail à finir sur le portable du boulot.

Les femmes sont bien cruelles, parfois. Et j'avoue que malgré la carapace que je me suis forgé au fil des ans, malgré ce détachement un peu feint que je m'efforce de montrer, malgré la certitude que j'ai de ne pas être amoureux de Sido, certaines phrases comme celle-ci réussissent encore à me serrer la gorge, et me percer en plein coeur.

mardi, 02 mai 2006

trois

Depuis plus de trois ans, j'habite rue Monge, dans le cinquième arrondissement de Paris. Pas du côté quartier latin, Sorbonne et rue Mouffetard, dieu m'en garde, plutôt vers la mosquée. J'aime assez. Je loge dans un studio pas trop petit au dernier étage, sans ascenseur mais avec une vue pas mal : orientée à l'Est, avec un peu de Sud pour la lumière en première partie de journée ; ça m'évite de crever de chaud l'été.

Juste en dessous, a emmenagé au début de l'année scolaire une petite famille avec deux enfants, une fille et un garçon, d'environ 4 et 6 ans. Les parents sont pourtants assez vieux, bien 45 pour le père, un peu moins pour sa femme - disons 40. D'anciens expat qui débarquaient du Danemark. Le type, très gentil, m'a expliqué tout ça quand ils sont arrivés :

— On a passé cinq ans dans la banlieue de Copenhague (ça doit être gai, me suis-je dit) ; les gosses sont nés là-bas (ça, par contre, c'est la classe ! J'ai un pote qui est né à Miami, ça en jette quand même plus que G'nève !).
— Ils parlent les deux langues, alors ?
— Justement, me répond-il, on a peur qu'ils oublient. On a donc demandé à la fille d'un couple de nos amis de venir pendant un an, comme jeune fille au pair, vous voyez.

Si je vois ! Sans déconner, dans cet immeuble de vieux croûtons à qui je n'adresse jamais plus qu'un bonjour, une jeune Danoise esseulée ! Mais je n'étais pas au bout de mes surprises :

— Elle a 20 ans. On va la chercher samedi prochain à l'aéroport. Peut-être que vous pourriez lui faire visiter un peu la ville ? Si vous avez le temps, bien entendu. Elle sera contente d'avoir un peu de compagnie.

Là, putain, j'ai bien failli m'étrangler. Le monde s'écroulait. Un coup de chance pareil, ça ne m'était jamais arrivé. Mais comme j'ai toujours l'angoisse qu'on découvre le vieux pervers que je suis, je fais le mec sérieux, distant, cold-blooded, bref qui ne s'emballe pas. Avec la surprise en plus, j'ai dû baragouiner un truc du style "euh, oui je vais voir" ou bien "peut-être, si j'ai le temps"...

Quand on s'est quittés, j'ai eu peur d'avoir été trop froid, et que le type se dise hum, ça va l'embêter, c'est sûr, il doit avoir d'autres choses à faire, et puis sa copine (les types de ce genre n'imaginent jamais qu'on puisse être célibataire) va voir ça d'un mauvais oeil. Sûr, j'avais tout gâché. Il arrivait avec le sourire, les bras ouverts, prêt à faire connaissance avec sa nouvelle vie ; il m'offrait de surcroît une petite Danoise pour mes fins de soirée, et moi comme un con, ah ! c'est comme si je lui avais dit non. J'en ai pas dormi de la nuit.